Chapitre 52

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Quelques secondes plus tard, je m'engageais le premier sur le sillon, écrasant sans difficulté les épis de blés déjà courbés par le passage du premier homme. Rick m'avait rapporté un fusil à pompe Winchester dont je pointais le canon droit devant moi, la crosse ramassée au niveau de mes hanches. Même s'il semblait évident que les gens avaient cruellement besoin d'aide, j'aimais mieux progresser lentement. Le champ était presque prêt pour la moisson, certes tardive, et les épis formaient une épaisse couverture dans laquelle n'importe qui pouvait nous guetter.

Lolly marchait juste derrière moi, seulement équipée d'un neuf millimètres Smith&Wesson et d'une ou deux boîtes de cartouches supplémentaires. Je n'aimais pas vraiment l'idée qu'elle s'aventure là-bas aussi peu armée, mais elle avait répondu que ses poignets étaient protégés par son blouson et qu'elle portait des bottes.

Je n'avais pas pu argumenter face à l'argument des bottes, puisque mes propres chevilles étaient une proie facile pour le premier zombie venu.

Pardon. Pour le premier malade venu.

Alors que je progressais en suivant les traces de sang, je ne pus m'empêcher de ressentir une pointe d'excitation. Etait-ce malsain ? Certainement. Pourtant, j'étais forcé de l'admettre : je n'avais jamais aussi mal mangé et dormi que ces derniers jours, mais jamais jusqu'alors je n'avais senti le sang pulser dans mes veines. J'avais cette acuité exacerbée de ma propre existence, qui donnait un relief nouveau à chacun de mes mouvements. Comme si on avait changé l'oxygène que je respirais ou qu'un exosquelette invisible rendait mes pas plus faciles. Et même si la douleur déchirait souvent le tissu coloré de mes souvenirs, je l'accueillais elle aussi avec une intensité nouvelle. Peut-être que la présence de Lolly galvanisait ce sentiment... En tous cas, il rendait pâles et fades la plupart des images de mon ancienne vie. De mon vieux break poussiéreux et de mon sous-marin gris.

— Je dois dire que ce sont des fesses intéressantes, commenta Lolly à mi-voix derrière-moi.

Je souris.

Oui, elle y était sûrement pour quelque chose. Le sujet de l'exsanguino-transfusion s'était effacé derrière l'impérieuse nécessité de vivre l'instant, et nous en reparlerions plus tard.

Je levai le poing pour que les autres s'arrêtent, à quelques mètres de la fête. Ce que nous avions aperçu dans les jumelles se confirmait : trois ou quatre hommes erraient sur la zone désertée où s'étendait la fête foraine. Un peu plus loin résonnaient les mugissements affolés de bovins, parqués dans un grand enclos, qui avaient probablement reçu la visite d'un humain affamé. La porte de la grange était verrouillée de l'intérieur et nous entendions monter une longue plainte, les cris mêlés des quelques cent personnes qui devaient s'y être enfermées. J'espérai profondément qu'aucun d'eux n'était blessé, sinon nous aurions à affronter la même vague de panique qu'à l'aéroport d'Happy Landings.

Les ballots de paille encadraient ce qui ressemblait à une piste de course, du moins nous apercevions plus loin une rangée de tracteurs bariolés. Et à l'écart, sûrement venus en représentation, une brochette de monstres qui m'arrachèrent un sourire d'enfant. De gigantesques monster trucks, ces bêtes assoiffées d'asphaltes aux pneus plus grands que moi, et qui arboraient l'air agressif de ceux qui emmerdent l'environnement.

— Rick, Vincent, occupez-vous du troupeau, leur ordonnai-je en désignant la zone. Lolly, avec moi, on s'occupe d'abord de ceux qui errent devant la grange, puis on essaye de calmer les gens dans la grange et de faire le point.

Je plantai mon regard dans celui de Rick le temps d'accrocher pleinement son attention.

— Si nous devons être séparés, tout le monde se retrouve à l'entrée de Washington, à l'autoroute quatre-vingt quinze. C'est clair ? Il y a sûrement de sérieux postes de contrôle, on s'attendra là pendant quarante-huit heures.

Z - Où tout commenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant