Chapitre 4

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— Hein ! Peter, sale fils de pute, t'étais où après qu'on a buté tout le monde, hein ? T'étais où, enfoiré ?!

Elle se saisit d'un verre sur une table et le lança sur moi avec toutes les forces qu'il lui restait. Je le regardai heurter le sol à quelque centimètres de mes pieds et relevai les yeux vers Gus, totalement incrédule.

J'étais complètement paralysé, bloqué. Qu'est-ce que c'était que ce bordel ?

— Gus ? Ça va ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette, se risqua Stella en descendant de son tabouret.

Son pied écrasa le verre et le fit crisser contre le parquet désormais humide du petit bar. Personne n'osait rouvrir la bouche, et les gens avaient commencé à s'amasser autour de nous, spectateurs avides de sang. Même la musique, un vieux morceau aussi poussiéreux que les étagères de ce bar, peinait à rendre l'atmosphère supportable.

Stella fit un pas de plus et leva les mains en signe d'apaisement.

— Gus. C'est Stella. Regarde-moi, s'il te plaît.

Sa voix , qui restait d'un calme surprenant, me rasséréna. Je commençais doucement à reprendre mes esprits. Quelqu'un aurait-il dû me prévenir qu'Augustine avait un bon vieux syndrome de la Tourette ?

— Ta gueule, blondasse. Va te faire foutre. T'as compris ? VA TE FAIRE FOUTRE ! S'écria à nouveau Gus en levant un majeur vers Stella.

Cette dernière laissa échapper un cri, à mi-chemin entre la surprise totale et un rire décontenancé. A son expression, je compris qu'il n'y avait rien d'habituel du tout dans le comportement d'Augustine. Pas de la Tourette donc. Mon esprit se mit à tourner à mille à l'heure. Avais-je fait quelque chose de mal ? Avait-elle mentionné quelque chose dans ce goût-là ?

Mon regard glissa sur sa cuisse et y aperçut un bandage d'où suintait un peu de sang. Je repensai aussitôt à son atroce morsure et un frisson grimpa le long de mon échine. Il mourut sur ma nuque et je réalisai que j'avais aussi levé les mains, comme pour lui dire de se calmer, que je me rendais. Même si j'ignorais pourquoi.

Stella me jeta un regard désemparé.

— Je ne sais pas ce qu'il lui arrive, je ne l'ai jamais vue comme ça, me glissa-t-elle à toute vitesse, ayant peut-être peur que Gus se jette sur elle dans l'intervalle.

Mais Gus, à présent, était ployée en deux et s'était mise à haleter. Elle poussa un long râle et repoussa brusquement le bras d'un type assez âgé, qui s'était proposé pour lui donner un coup de main.

— Je suis... Désolée... Stella, je ne comprends pas...

Elle tendit une main tremblante vers le sol et plongea doucement, atterrissant sur ses genoux. Ce fut le moment que Stella choisit pour bondir et s'accroupir à ses côtés. Elle la prit par les épaules et lui murmura quelques trucs que je ne pus entendre.

J'avais presque peur de m'approcher. Je revoyais le Mexicain la mordre avec ses airs de chien enragé, avec frénésie, dans une version horrifique et déformée de la réalité. Et à chaque coup de crocs, je l'entendais hurler. Je mis quelques instants à réaliser que Stella et son regard lumineux s'adressaient à moi.

— Pourriez-vous m'aider à la soulever ? Vous avez une voiture ?

— Euh, oui, oui. Je suis garé juste devant.

Mon instinct sembla reprendre un peu le dessus et mon corps se remit en marche. Je franchis d'un bond les quelques pas qui me séparait d'elles et attrapai Gus par l'autre épaule. Un filet de bave rougeâtre s'écoula le long de son menton, et je vis que certaines de ses dents étaient désormais cassées. De gros sanglots se mirent à secouer sa poitrine, et elle essayait d'articuler des choses inintelligibles.

— Désolée... Tellement besoin... ça fait trop mal...

Elle se mit à pousser de longs cris désespérés et j'en eus mal au coeur. Mal pour elle et pour son état abominable. Mal pour tous ces gens qui la dévisageaient maintenant comme si elle était un animal dans un cirque. Parce que ce soir, elle serait au coeur de toutes leurs pensées et de tous leurs ragots. La bonne vieille Gus qui pète un câble.

Stella et moi comptâmes jusqu'à trois et il fut temps de quitter le bar avec notre terrible fardeau.


Z - Où tout commenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant