Chapitre 55

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Comme l'avait annoncé le soldat dans son mégaphone, il était presque minuit lorsque notre Fossoyeur fut autorisé à rejoindre l'immense parking improvisé sur une bande de terre en friche. Une infinité de voitures s'y alignaient déjà, à peine éclairées par les projecteurs nomades emmenés plus tôt par l'armée. Sous cette faiblarde lueur orange, les visages que nous croisions semblaient émaciés, extenués, perclus d'angoisse. Tout prenait une étrange et excitante saveur d'inhabituel, un goût de fin du monde.

Les gens s'emmaillotaient dans les couvertures de survie données par l'armée, prenant les allures d'autant de manchots métalliques. Ils se serraient les uns contre les autres dans la file d'attente qui nous séparait d'un premier barrage. Là, des militaires dont les visages trahissaient la fatigue notaient leurs noms, leur attribuaient un matricule, prélevaient un peu de leur sang en piquant le bout de leur doigt. Des enfants pleurnichaient en enfouissant leur nez dans les épaules de leurs parents. Une gamine aux grands yeux noirs, juste devant, nous fixa longuement sans dire un mot. Lolly, contre moi, soutint ce regard et je lus sur son visage toute la peine que cela lui inspirait. Personne n'aurait dû être là, dans le froid, à attendre de se voir confier un matricule. Personne n'aurait dû finir sa nuit dans un préfabriqué monté deux jours plus tôt par l'armée.

Il n'y aurait pas dû y avoir de camps sanitaires. Et Lolly Foster le savait mieux que personne.

Je déposai un baiser dans ses cheveux en la serrant plus près de moi, étouffant les voix dans mon crâne qui me hurlaient que son histoire était emplie de zones d'ombre. J'avais seulement envie d'être avec elle.

Avec un peu de chance, la vérité pourrait encore attendre un peu.

Je donnai docilement mon doigt à l'officier qui le piqua avec une millionième aiguille stérile, et le laissai emprisonner mon sang dans un minuscule flacon. Il me fit épeler mon nom, ses cernes plus sombres encore que l'encre de son stylo. Sur sa petite table pliante s'accumulaient des centaines de formulaires vierges, parfaitement alignés, et deux autres stylos qui n'avaient probablement plus d'encre.

Je reçus le numéro "M-472" et Lolly le suivant. Nous avions donc le droit de nous rendre dans l'allée M, baraquement quatre-cent soixante-dix, où nous pourrions attendre d'être appelés pour notre examen médical. Le temps d'analyser notre sang.

— Savez-vous si je peux retrouver quelqu'un ? Pourriez-vous me donner son numéro ? Il s'agit de Rick Tenenbaum, demandai-je au soldat après qu'il eût signé mon dossier.

— Monsieur, je n'ai pas la possibilité de vous donner cette information. Je regrette. Les registres sont confidentiels.

Evidemment. Je m'étais attendu à cette réponse. Les proches avaient probablement la possibilité de se retrouver seulement après les résultats du test. Qu'advenait-il des autres, de ceux qui portaient les traces du Belligétazen ?

Nous n'avions aucune raison de nous inquiéter, répéta le soldat à deux reprises, tout ceci n'était qu'une vérification d'usage.

— L'usage immobilise les autoroutes pendant plus de six heures, vous croyez ? Lui lançai-je alors qu'il apposait mon numéro sur mon torse.

Devant nous, la gamine de tout à l'heure se mit à pleurer en voyant l'aiguille qui allait lui piquer le doigt.

Le soldat, penaud, ne me regarda même pas. Il se contenta d'appeler la famille dernière nous d'un geste de la main.

— C'est parti pour le camp sanitaire, s'exclama Lolly d'un ton faussement enjoué en me rejoignant de l'autre côté du barrage.

— Affirmatif. J'espère que l'on pourra dormir un peu, les résultats ne tomberont pas avant quelques heures. Ça va ?

Z - Où tout commenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant