Chapitre 28

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Je me concentrai à nouveau lorsque nous nous approchâmes de l'escalier. Les trois autres SEAL l'avaient sécurisé, trois mutins gisaient face contre terre, les mains attachées dans le dos. Je ne m'inquiétai pas de savoir s'ils étaient infectés et nous fîmes l'erreur de passer près d'eux.

— Aïe ! Sale con ! hurla tout-à-coup le docteur Tucker en levant sa jambe droite.

Le convoi s'immobilisa net dans l'escalier.

— Il m'a mordu ! Cet homme m'a mordu ! s'écria-t-il en désignant sa cheville, où commençait à apparaître une petite trace de sang.

J'échangeai un regard avec la fille et j'y lus quelque chose d'extrêmement familier. Comme si elle savait aussi bien que moi ce que cela signifiait. Néanmoins, si planter une balle dans le crâne d'un docteur aurait pu s'expliquer lorsque nous étions dans l'enfer d'Eagle Pass, ici mon instinct me hurla que j'aurais tort de le faire. La fille dut parvenir à la même conclusion puisqu'elle se tourna vers le docteur et lui dit :

— Nous vous soignerons une fois sortis de là. Ce n'est rien. Avançons.

Vincent s'était immobilisé aussi et s'était plaqué contre la rambarde de l'escalier, côté mur. Son visage était livide. Il lâcha une insulte en français en regardant alternativement sa chef et le docteur. Un profond sentiment de malaise m'envahit.

— Nous avons déjà perdu du temps, c'est parti, crachai-je en reprenant la marche en tête. Tucker, vous serez soigné dans moins de dix minutes. Nous sommes très près de la sortie du bâtiment.

J'étais arrivé au pied de l'escalier lorsqu'une déflagration violente retentit. Je m'accroupis immédiatement et jetai un oeil en direction de l'interminable couloir. Il s'en élevait maintenant une épaisse fumée blanche. Je me retournais en direction des otages lorsqu'un mouvement attira mon regard.

— Putain de ...

Le nuage de fumée s'était mis à recracher des mutins, qui jaillissaient de l'épaisse brume en traînant des volutes cotonneux derrière eux. Leurs visages, déformés par la haine, m'évoquèrent aussitôt ces moissonneurs que nous avions croisé trop souvent au Texas. J'eus le temps de penser à Rick, Edwin et les autres, et de regretter amèrement leur présence à mes côtés.

Dans l'escalier, Tucker se tenait la cheville en gémissant, dans une tentative théâtrale d'attirer toute l'attention sur lui. Foster posa un pied dans le hall et aperçut aussi les mutins dans le couloir, lancés au pas de course vers le hall. Elle poussa un "hmm" dubitatif et me lança :

— C'est très con, ça. Vous auriez un flingue pour moi ?

— Madame, c'est vous l'otage et moi le SEAL. Laissez-moi faire mon job.

Mon MK-18 offrait son meilleur profil à nos assaillants, déjà cinq et tous en train de courir en zigzag dans le couloir.

Je n'eus pas le temps de réfléchir au caractère profondément sexiste de ma réponse, mais j'entendis distinctement Foster me traiter de sale con. Alors qu'elle fulminait sa rage, Henderson et Reeves vinrent se placer à mes côtés. Fusils levés et silence monacal.

J'ouvris le feu alors que les premiers prisonniers étaient à une vingtaine de mètres de la porte à double battants. Les vitres explosèrent en éclats et les premiers corps commencèrent à tomber. Certains, comme tout à l'heure à l'étage, résistèrent à un nombre incalculable de balles avant de s'effondrer. Mais même au sol, je les voyais encore bouger, trépigner de rage dans des bouillons écarlates.

— A droite ! hurla soudain Reeves en décrochant à côté de moi.

Je sentis une main frôler ma ceinture mais il me sembla plus important de regarder dans la direction indiquée par Reeves. De l'autre côté du hall, dans ce qui devait être l'aile réservée au personnel, une porte s'était ouverte à la volée et recrachait un nouveau flot de prisonniers. Ceux-ci semblaient tout aussi enragés. Il se jetèrent dans notre direction en poussant des cris d'une colère folle. Certains trébuchèrent dans les chaises renversées, d'autres assenèrent de violents coups de pied à leurs camarades qui étaient tombés dans la cohue. Partout, je lisais la rage et la haine. Je n'avais jamais vu quelque chose d'aussi immonde.

De l'autre côté, dans l'escalier, j'entendis le docteur Tucker pousser à son tour des hurlements suraigus. J'entendis vaguement des insultes. En face, le flot des mutins s'était réduit. J'intimai à Henderson de contrôler le couloir puis pivotai pour aider Reeves. Il s'astreignait à une cadence de tir ralentie, modérée, afin que chaque balle soit utilisée de manière utile. Il y avait déjà une trentaine de prisonniers dans le hall et nous étions très largement dépassés. Je remarquai avec effroi que certains des monstres qui couraient vers nous, écume aux lèvres, portaient un uniforme bleu marine et des matraques à leurs ceintures.

Derrière moi résonnèrent encore, surpuissants malgré le grondement ignoble dans la pièce, les injures de Tucker. Puis il y eut une détonation sèche, brève, et je compris aussitôt ce qui manquait à ma ceinture. Je résistai à l'envie de jeter un oeil pour confirmer mes pensées mais Foster fut plus rapide que moi. Elle vint se positionner près de nous, leva mon Glock à hauteur de ses yeux, et commença à tirer sur les prisonniers qui fondaient sur nous. Je n'avais plus le choix. Elle aurait le temps de s'expliquer plus tard pour les meurtres et le vol d'une arme militaire.

Avoir un "plus tard" devint la seule notion qui me préoccupait. Je me concentrai pour ne pas tirer plus de balles que Reeves. Derrière-moi, un rapide coup d'oeil m'apprit que le prénommé Vincent avait lui aussi pris l'arme d'Henderson et l'aidait à contenir les vagues de prisonniers. Elle serait folle de rage, mais je reconnus un bel avantage au surarmement de mes concitoyens.

Le flot d'assaillants se réduisit peu à peu, et avec lui les cris rauques se calmèrent. Une quantité incroyable de corps jonchait le hall d'entrée, monstrueux tapis aux franges humaines. Sous les néons, la plupart des tâches semblaient noiraudes. Comme si c'étaient autant d'insectes insignifiants que nous avions écrasé d'un coup de talon.

— Ok, on dégage de là, grondai-je en me tournant vers Foster, qui se tenait entre la sortie et moi.

Elle me regarda sans bouger.

— Vous savez qu'il faut d'abord qu'on les tue tous.

— Rendez-moi mon arme. Ma mission consiste à vous sortir d'ici sains et saufs et il me manque déjà un tiers du package.

Je pensais que mon ton n'appelait aucune réponse, mais elle insista.

— Hors de question. Il ne faut pas qu'un seul sorte d'ici, répéta-t-elle avec sa voix si froide.

Elle se fondit à côté de moi pour rejoindre le couloir mais je la rattrapai fermement par le bras. Je passai ma main armée du MK-18 par-dessus son torse pour la bloquer contre mon torse et récupérai mon Glock, sourd à ses sifflements furieux.

— Vous n'êtes qu'un enfoiré, cria-t-elle. Vous ne comprenez pas ?

— Je comprends mieux que vous pensez, mais ce ne sont pas mes objectifs, rétorquai-je en la faisant basculer sur mon épaule.

Je la soulevai de terre sans ménagement et me tournai vers Henderson. Elle avait récupéré son arme et Vincent, partagé entre la gêne et la fierté, se tenait à côté d'elle. Foster m'insulta encore quelques fois alors que nous traversions le hall vers la sortie. Elle était drôlement agressive, pensai-je avec un mauvais pressentiment.

Puis elle se tut. L'instant d'après, je sentis une vive douleur en bas de mon dos.

Elle m'avait mordu.

Z - Où tout commenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant