Chapitre 22

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 — Excusez-moi ! S'exclama Elizabeth en tournant un des boutons de l'autoradio. 

 Je compris qu'elle avait allumé la radio et que le volume était resté très fort. 

Elle le positionna sur une valeur plus faible et le timbre grave d'une femme emplit l'habitacle. 

 " ... et l'armée Américaine se déploie en ce moment autour de la prison d'état de Louisiane, qui est semble-t-il au coeur d'une mutinerie similaire à ce que nous avons plus tôt sur Piedra Negra, Pam Lychner, et Lancaster. Elle vient ainsi apporter du soutien à la police d'état, surchargée depuis le début de l'après-midi. A noter la présence aussi de membres de l'ATF et du DEA. Le Président Barack Obama devrait prononcer le retour à la loi martiale dans certains de ces états d'ici la fin de la nuit. Nous revenons vers vous dans quelques instants. Pour vous qui nous rejoignez : cinq prisons majeures du Sud des Etats-Unis sont sous le coup de mutineries violentes et l'on déplore déjà près de deux cents victimes, foudroyées par des fièvres extrêmement virulentes. Rentrez chez vous et limitez tout contact. C'était Stacie Garber pour NPR." 

 — Putain, c'est vraiment la merde partout ! S'exclama Gerry à côté de moi.
 — Gerry, ma fille dort pour l'instant, mais si elle pouvait éviter d'adopter ton vocabulaire fleuri, tu m'en verrais ravi, remarqua Rick depuis l'arrière du véhicule.
— Pardon. J'adore les gosses en plus. J'avais juste oublié qu'elle était là.
— C'est bon. Je remarquai que les mains d'Elizabeth s'étaient crispées lorsque Rick avait parlé.

Sûrement la terrible injustice de ce "ma fille" qui ne prendrait plus jamais de pluriel.Je me demandai pourquoi l'ATF et le DEA, deux départements dédiés à la lutte contre le trafic de drogue, étaient parmi les forces de police en présence. Lorsque nous avions été assaillis par les Mexicains, Gus avait immédiatement suggéré qu'ils devaient être complètement défoncés. Si la prise de drogue suffisait à expliquer ce carnage, j'étais preneur. C'était mille fois préférable à un virus, une bactérie, ou n'importe quel arme bio-chimique comme j'en avais souvent vu dans les histoires de zombies. Il suffisait peut-être d'isoler tous les malades jusqu'à ce que leurs organismes se débarassent de ce qui en faisait des monstres.

En Louisiane, un coup de chance nous fit gagner un temps phénoménal sur notre trajet. Aux abords de Lafayette, agglomération située à l'Ouest de la Nouvelle Orléans, se trouvait une base militaire équipée d'une petite piste d'atterrissage, le champ Castille. Des dizaines et des dizaines de maisons aux jardins sans clôture s'étalaient le long de petites routes mal entretenues. 

Au bout de ce modeste environnement, je reconnus cette base dans laquelle j'avais déjà dû me rendre au cours de ma formation de SEAL.

 Un nombre exceptionnellement élevé de gardes était posté à la guérite et six soldats, contre deux habituellement, nous attendaient l'arme au bras. Elizabeth stoppa à leur hauteur et je bondis hors du van par la portière coulissante. 

 — Lieutenant Jon Lucky, du corps des Navy SEAL, annonçai-je en plaçant la pointe de mes doigts contre ma tempe.
 — Seconde classe Hoffman et Tremer, me répondit une soldate en rendant mon salut. 

 Elle était presque aussi grande que moi et sa coupe courte, blonde, faisait ressortir les tâches de rousseur qui coloraient son nez. Elles lui donnaient un air complètement enfantin qui tranchait avec la droiteur de sa posture et la rigueur de son salut. J'imaginai qu'elle devait être Hoffman et que Tremer était le brun moustachu posté à côté d'elle.

 — Les autres avec moi ne sont pas militaires, commençai-je en me tournant vers le monospace. Nous avons besoin de rejoindre l'Aspro, à Kings Bay. Il est placé sous le commandement du Capitaine Sanchez. J'ai reçu ordre de m'y rendre avant midi.
 — Aujourd'hui ? Demanda-t-elle, étonnée.
— Oui. Nous venons d'Eagle Pass. — Eagle Pass ? Vous avez vu la fusillade, alors ?
 — J'y étais, la police aux frontières avait besoin de renforts pour contenir la mutinerie de Piedras Negras.
 — C'était comment ? Vous avez vu ces... Ces monstres dont ils parlent à la télé ? 

 Je plongeai dans ses yeux verts et y lus une profonde curiosité, et quelque part une sincère inquiétude. Je me trouvai con, incapable de répondre à cette simple question. C'était comment ? Sanglant, mademoiselle, c'était sanglant. J'ai tué près de trente personnes depuis, c'est plus qu'en dix ans dans les SEAL. La fille que je rêvais d'apprendre à connaître a donné sa vie pour contenir l'épidémie. Des enfants sont morts de soif parce que leurs accompagnateurs ont été dévorés et qu'ils sont restés coincés sur une roue.

 — C'est compliqué, répondis-je finalement d'une voix étranglée.
 — Putain ! Luck ?! C'est toi, mec ?! S'exclama une voix plus loin. 

 Je regardai par-dessus son épaule et un soulagement indiscible me submergea. Mes jambes prirent la suite sur mon cerveau et mes épaules bousculèrent à la fois Hoffman et Tremer pour entrer dans la base. Un lieutenant d'une bonne trentaine d'années trottait vers moi avec un sourire immense en travers de son visage noir. Cent cinquante kilos de muscles me percutèrent de front et je laissai ses bras énormes m'enserrer. J'étais comme un gamin. Je lui rendis son étreinte avec toute la force que j'avais mais cela parut encore ridicule à côté de la sienne. Lorsqu'il me relâcha, je reconnus son immense sourire immaculé, qui effaçait presque la longue cicatrice allant de son menton à sa gorge.

 — C'est pas possible ! Qu'est-ce que tu fous là ? Je te croyais dans l'Aspro ! Putain, mais ça fait quoi, quatre ans ?
— C'est ça, acquiesçai-je sans prendre la peine de compter. L'Iran, mon gars !
 — Ne m'en parle pas, lança-t-il dans un grand éclat de rire. Le climat était autrement meilleur qu'ici ! Tu verrais la taille de nos moustiques, c'est du délire.
— Venant d'un mec qui mesure deux mètres de haut, c'est beau.
 — On nous ment, ce sont bien les p'tites bêtes qui mangent les grosses ! 

 La parenthèse complice que m'offrirent ses grands yeux noirs me fit presque oublier l'horreur des derniers jours. C'est Rick qui la fit entrer à nouveau dans mon monde, en sortant du monospace dont j'entendis claquer la porte.Je lui présentai celui qui fut mon meilleur ami pendant de longues années. Nous nous étions connus lorsque nous essayions de devenir des SEAL. J'étais persuadé que les amitiés les plus profondes se forgeaient plus dans la douleur que dans le bonheur et celle que je partageais avec Oliver Marsh Jr tendait à le prouver. Il en avait tellement chié avec moi, pour devenir les machines de guerre que nous devions être... Que quatre ans sans se parler n'avaient pas changé la donne. 

 — Putain de merde, lâcha-t-il dans un souffle lorsque nous eûmes fini de lui résumer nos trois dernières journées.
 — Ouais, hein ? Il n'y a pas grand chose à rajouter.
 — Je... Tu crois qu'on est en pleine attaque zombie ? On en aurait entendu parler ici... Le Président ne s'est pas exprimé sur le sujet, tout ce qu'on a sont des rumeurs... Putain si j'avais su, je commence à peine à mater The Walking Dead en replay. 

 Je secouai la tête, les yeux dans le vague.
— Aucune idée, mon vieux. J'ai eu Sanchez, je dois rejoindre l'Aspro pour midi. C'est tout ce que je sais. Vous auriez un avion qui peut nous embarquer ?
— Bah putain, oui, si tu dois y être à midi tu n'as pas intérêt à continuer sur route, s'exclama-t-il en croisant les bras. J'ai bien un transporteur qui devait partir sur la Géorgie cet après-midi... Le problème, c'est que t'as beaucoup de civils à embarquer. Je vais voir ce qu'on peut faire. Je t'emmène, le commandant Sterlings aura sûrement envie de parler avec toi.
— Ah tiens, elle est là ?
— Yep, détachée ici depuis le début de l'année. Un peu de mal à se faire aux alligators, mais je ne suis pas inquiet pour elle, conclut Oliver dans un éclat de rire. 

 Il tourna les talons et je le laissai m'emporter, signalant juste à Rick que je reviendrais vite. 

Z - Où tout commenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant