Chapitre 57

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J'avais froissé le gobelet, et le peu de café qu'il y restait désormais perlait sur le sol au milieu d'une grande flaque noire. J'observai les mains de Vincent, serrées sur le sien. Elles ne tremblaient pas. Il respirait calmement. Je détaillai son physique mais rien ne m'y laissait deviner les traits d'un garde du corps. Il n'était pas très musclé, n'avait pas un de ces visages que l'on oublie dès qu'on les voit... C'était un type plutôt charmant, en fait. Un bon menteur, aussi, peut-être.

— Je suis entré au service de Lolly il y a un peu moins d'un an, poursuivit-il. Elle lançait tout juste les essais sur le Belligétazen et, pour une raison que j'ignore, elle avait peur. Plus que pour tous les autres médicaments dont elle a supervisé la création, d'après elle. Donc je travaillais ici, et je l'accompagnais sur tous ses déplacements qui concernaient le Bélli-G. Je suis quand même ingénieur en informatique, précisa-t-il dans un haussement d'épaules. Ici, j'ai pu transformer ce diplôme obtenu en France grâce à une opportunité dans la boîte de mon père. Ça m'a permis d'intégrer ce boulot facilement. Je pense que son mari lui-même n'était pas au courant qu'elle avait fait appel à moi. Je n'étais pas avec elle vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et elle ne me dit que ce qu'elle a bien envie... Mais oui, je travaille pour elle, pas pour la Foster.

— J'ai du mal à te croire, soufflai-je après réflexion. Tu te sépares facilement d'elle, pour un garde du corps. Là, chez Sophie, quand elle est venue me chercher au centre commercial...

— Ce n'est pas son corps que je garde, répondit-il en secouant lentement la tête. C'est tout ce qui la connecte au Belligétazen. Tout ce qu'elle divulgue, toutes les données qui concernent ce médicament, je les maîtrise. Je suis, en quelque sorte, consultant en sécurité. J'imagine qu'on peut appeler ça comme ça.

Je tâchai de respirer profondément alors que les pièces du puzzle s'assemblaient sous ma boîte crânienne. Vincent protégeait Lolly parce que le Bélligétazen était un dossier brûlant. Infiniment plus que tout ce sur quoi elle avait travaillé avant. Ceci expliquait beaucoup de choses, à commencer par ce scandale sanitaire. Cette horreur sans nom qui avait déferlé sur l'Amérique du Nord après qu'une poignée de prisonniers eurent avalé une pilule dégueulasse. Mais alors, pourquoi tout était parti d'une poignée de centres pénitenciaires ?

L'image de Lolly qui abattait le directeur de la prison me revint tout d'un coup, et ce fut comme si je venais de placer la dernière pièce du puzzle. Elle s'emboîtait parfaitement, ses contours disparaissant pour mieux me laisser admirer le tableau. L'horreur de ce que je comprenais m'arracha un frisson.

Dans le même temps, je réalisai que derrière-moi, les bruits de fond émanant de l'open space s'étaient tus depuis quelques minutes déjà. Je repensai immédiatement aux sons étouffés des pas que j'avais entendus plus tôt, et une bouffée d'adrénaline me saisit à la gorge. Vincent comprit immédiatement mon inquiétude et fronça les sourcils. Il jeta un oeil à un téléphone portable qu'il gardait dans sa poche. Le geste était parfaitement anodin, mais je le trouvai complètement incongru : je n'avais pas tenu de smartphone dans ma main depuis plus d'une semaine. Depuis Eagle Pass, son réseau saturé et ma batterie foutue. J'ignorais même ce que j'avais fait de mon téléphone. Voir Vincent pianoter sur le sien me rappela tout-à-coup que non, il n'y avait pas de raison que le réseau téléphonique de Washington soit saturé comme il l'avait été au fond du Texas. Ici, l'horreur était restée en dehors de la ville.

A cet instant toutefois, mon horreur à moi aurait été qu'il soit arrivé quelque chose à Lolly et Rick. Vincent capta mon regard et secoua le téléphone avant d'en rabattre le clapet et de le remettre dans sa poche.

— Il me sert à joindre Lolly, expliqua-t-il. Uniquement du réseau mobile.

Je me demandai pourquoi il l'avait rangé dans son pantalon, puisqu'il le ressortit presque immédiatement. Elle avait dû répondre. Je n'avais même pas remarqué qu'elle avait gardé un téléphone, mais après tout j'ignorais ce qu'il y avait dans le petit sac à dos qu'elle trimballait partout. Après tout, j'ignorais vraiment beaucoup de choses.

Z - Où tout commenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant