49 - Les psychoses d'Astre

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Le cadet des Phantomhive sentait son corps flotter au gré du vent. Comme s'il avait été dénudé, un air frais et embaumé glissait sur sa peau tel une eau ruisselante.
Puis, l'humidité de l'herbe matinale éveilla des frissons sur sa nuque, l'odeur musquée de la rosée lui chatouilla les narines. Il ouvrit ses paupières. Au dessus de lui, l'aube chassait les dernières étoiles sur une voûte céleste entièrement dégagée.
En étirant le cou vers la gauche, il remarqua la présence de Tim à ses côtés. Cette simple vision lui allégea le cœur. Son ami lui était revenu. Il était avec lui désormais et ils n'allaient plus jamais se quitter.
Le roux était en train de lui parler avec vivacité mais Astre ne captait pas ses paroles, comme emmurer dans un cloître de silence. Il se borna donc à regarder ses lèvres se mouvoir, s'interrogeant sur ce qu'il pouvait bien lui raconter. Il planta ensuite ses yeux dans l'horizon et observa, surpris, les grands vallons qui s'étendaient à l'infini, à la manière des massifs écossais.

- Où sommes-nous, Tim ? Cet endroit ne ressemble pas à Weston.

Le roux ne lui répondit pas, admirant lui aussi le paysage qui s'allongeait devant lui, un sourire nostalgique aux lèvres. Astre déporta son regard vers la droite et discerna la silhouette de Sullivan, un peu plus loin, qui feuilletait le fameux ouvrage qu'elle avait eu en sa possession lorsqu'ils s'étaient croisés dans le couloir la veille. Absorbée par sa lecture, elle ne lui accorda pas plus d'attention que l'autre. Leurs tentatives de communication n'était pas en raccord, ou, du moins, à sens unique à chaque fois. Cela fit rapidement réaliser à Astre le fondement de la situation. Il ne vivait pas le moment présent. Il le rêvait. Probablement dans son dortoir à Weston ou bien au Manoir, mais avec son entière lucidité.

Il soupira et ferma les yeux, sentant une fatigue considérable amollir ses membres. Sans pouvoir s'y préparer, il fut attiré par les ténèbres. L'atmosphère bougea autour de lui, se dématérialisant et se remodelant dans des bruits indistincts. La température ambiante s'affaiblit. Lorsqu'il rouvrit les paupières, l'environnement avait nettement changé. Plus aucun panorama photogénique. Autour de lui se dessinait les murs nus d'une chambre d'hôpital. Il était enfoncé dans un lit aux draps glacials, son bras droit perfusé et relié par des fils translucides à une énorme machine peu avenante qui émettait des signaux sonores. Il sentait dans sa bouche pâteuse le goût âpre d'un produit pharmaceutique et l'épaisse sonde d'une intubation lui bloquait la gorge.

À la gauche de son chevet, Ciel lui tenait la main en le regardant avec inquiétude. Tandis qu'à l'autre bout du lit, Michaelis veillait sur une chaise, plongé dans la correction d'un tas de copies qu'on devinait de mauvaise qualité à en juger par sa mine excédée. Sa main droite inscrivait avec brutalité des annotations à l'encre rouge. Son teint rendu mortuaire par la lueur pâle du croissant de lune à la fenêtre faisait ressortir ses étranges iris carmins.

Astre sentit sa poitrine se compresser. Il essaya de se débattre pour écarter les couches de couvertures qui entravaient son souffle mais il remarqua avec horreur qu'il était dans l'incapacité de se mouvoir. Ses membres n'écoutaient plus sa volonté, restant totalement inertes, annilhilés par la paralysie. Ciel s'inquiéta de sa détresse et tenta de l'aider à se dépêtrer des draps, lui adressant des paroles qu'il n'entendit pas. Mais le professeur, dans une vélocité hallucinante, s'interposa entre les deux frères. Il se tourna vers l'aîné et lui dit quelque chose tout en pointant la porte du doigt. Le jeune comte protesta d'abord avec véhémence mais finit par acquiescer, l'air contrit. Il fit un câlin à Astre et disparut progressivement, s'effaçant comme un fantôme.

Terrifié par cet abandon soudain, Astre cria le nom de son jumeau à plusieurs reprises. Mais il ne parvint pas à ôter le moindre son de ses cordes vocales, elles aussi invalides. Michaelis s'installa sur la chaise que Ciel venait de délaisser et reprit la correction de ses copies.

𝐓𝐡𝐞𝐨𝐫𝐲 𝐨𝐟 𝐁𝐫𝐨𝐤𝐞𝐧 𝐃𝐫𝐞𝐚𝐦𝐬Où les histoires vivent. Découvrez maintenant