50 - Moment d'effroi sur le Lusitania

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Ce fut sous un beau temps glacial spécifique au climat du littoral britannique que la calèche des Phantomhive dépassa les premiers immeubles de Liverpool, le matin du 22 Octobre. Les longs boulevards de pierres dorées bordés d'édifices aux façades marbrées captivèrent l'attention de Ciel durant une bonne demi-heure. Il resta le nez collé à la fenêtre, les mains sur le rebord du cadre, soufflant de fascination au moindre détail dont ils croisaient la route. Londonien de naissance et peu voyageur, il n'avait que rarement délaissé la monotonie grise de la capitale pour des contrées plus lointaines. À l'inverse, Dylan ne jeta pas un regard vers l'extérieur, occupé à passer en revue l'intégralité de leurs bagages : kit de secours, paniers-repas, amulette religieuse confiée à leurs soins par le domestique. Le compte devrait y être lorsqu'ils quitteraient l'Angleterre.

- L'heure du départ est prévue à quatorze heures. Les informa le majordome en consultant la feuille d'embarcation sur laquelle était imprimés leurs deux billets. Peut-être serait-il mieux de trouver un endroit pour déjeuner ?

- Il y aura bien quelques cabarets où nous pourrons consommer, sur le port.

- Nous mangerons en ville. Leur imposa Ciel. Je refuse d'être compté parmi la clientèle de ces vulgaires bouges !

- Tu devras mieux camoufler tes manières une fois à New York, Phantomhive. Ou tu seras pincé en cinq secondes. Faire échouer la mission dès les premiers jours, tu en es totalement capable.

- Le jeune maître est un bon vivant, un peu trop accoutumé à la vie de luxe, certes. Mais c'est difficile de s'en défaire une fois que l'on y a pris goût.

- Non. Je dois lui accorder ce point.

Les deux autres plantèrent leur regard sur Ciel qui venait de prononcer ces mots, le ton plus grave.

- Cela fait plusieurs années que je n'avais pas reçu de mission de Sa Majesté. Nul doute que mes compétences d'investigateur ont baissé. Et nous savons qu'il faut s'attendre au pire, à Manhattan. Gardons à l'esprit que rien n'est encore acquis. Que les efforts auxquels nous nous livrerons seront longs et harassants.

- Eh bah. Siffla Dylan. Je t'ai rarement vu si sérieux.

- Il s'agit de la Reine. Je ne peux me permettre aucune bévue.

L'irlandais plissa les yeux, quelque peu intrigué par ce comportement. Ciel était d'un naturel optimiste et téméraire. Il faisait front aux difficultés avec un courage louable, parfois même de l'imprudence. Aujourd'hui, il semblait davantage parasité par la possibilité d'un échec. La situation n'avait plus l'air de l'amuser, comme souvent mais tendait à le rendre farouchement diligent.
D'un haussement d'épaule, Dylan détourna le regard et porta son intérêt au-dehors du fiacre. Au fur et à mesure qu'ils s'approchaient du port maritime, Liverpool s'éveillait. Les rues se gorgeaient de monde. On assistait à l'ouverture des petits commerces. Les techniciens de surface achevaient de balayer les trottoirs, les bicyclettes filaient à vive allure sur la chaussée, semant derrière elles toute une flopée de journaux, le laitier déposait au pas des portes les pichets et livres de beurre quotidiens. Si la ville avait des aspects Londoniens du fait de son dynamisme et la jeunesse de son style architectural, on pouvait néanmoins constater qu'elle conservait sa part d'authenticité.

À l'entrée sur le port, la mêlée s'épaissit et le carrosse fut pris d'assaut par la marée humaine qui affluait de toute part. Les gens venaient en nombre pour ce jour d'inauguration.
Depuis le terrible naufrage du Campania survenu le 21 Avril, les anglais avaient vu le Lusitania comme un nouvel emblème de la prouesse technique et industrielle de leur pays, le célébrant comme celui qui réparerait la tragédie passée. Cette fois-ci, le dispositif de sécurité possédait nettement plus d'importance au sein de l'embarcation et les canots s'élevaient au nombre de vingt.

𝐓𝐡𝐞𝐨𝐫𝐲 𝐨𝐟 𝐁𝐫𝐨𝐤𝐞𝐧 𝐃𝐫𝐞𝐚𝐦𝐬Où les histoires vivent. Découvrez maintenant