Chapitre 1 : Le départ

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     Avoir mal ne me fait pas peur.

   C'est ce que je me suis répétée depuis que je suis toute petite. Que ce soit lorsque Papa rentrait du bar avec les poings qui le démangeaient ou lorsque des gens ont voulu porter atteinte à ma vie pour la première fois, je me répétais cette formule magique dans ma tête. Du moment que je pouvais frapper plus fort, alors il n'y avait aucune raison pour moi d'avoir peur.

   Quand à peine âgée de 18 ans, le jour où mon père a finalement passé l'arme à gauche, je me suis retrouvée avec ce travail de garde du corps, j'ai pris cette opportunité comme le début d'une nouvelle vie. Fini d'être la petite fille sans cesse victime d'un monde sans la moindre pitié pour les plus faibles. Maintenant âgée de 24 ans, j'étais enfin capable de rendre les coups, et de me protéger en même temps que je protégeais les autres. Et surtout, si cela voulait dire que je pouvais le protéger lui, alors je ne pouvais espérer meilleure vie.

   Mais alors qu'il était à ce moment précis en face de moi, je sentais de nouveau ma vie s'écrouler tandis que je peinais à comprendre ce qu'on venait de m'annoncer.

   — Je ne comprends pas... Vous me virez, Clark ? 

   Il posa nonchalamment le verre de whisky dont il venait tout juste d'y tremper les lèvres. Il était loin d'être aussi angoissé que moi suite à ce qu'il venait de me dire. Quand il m'avait sommée de le rejoindre dans son bureau, mon esprit avait inconsciemment vagabondé vers des territoires plus plaisants, là où il ne serait pas question pour lui de me renvoyer mais de m'accorder tout ce dont je rêvais secrètement de lui depuis des années.

   Clark s'approcha doucement de moi, et me prit les deux mains d'un geste amical. Mon cœur, qui semblait déjà courir un marathon à cause du choc causé par cette nouvelle soudaine, ne fit que redoubler d'un tour, et je pris peur un instant qu'il puisse le sentir à travers mes mains.

   — Non, non, bien sûr que non, Ellie. Je n'ai absolument pas l'intention de te renvoyer. Tout ce que je veux faire, c'est te prêter quelque temps à un ami. Il a absolument besoin d'un garde du corps pour sa fille de 17 ans, et il fallait que ce soit une femme. Et je ne connais aucune femme meilleure que toi dans ce métier. Disons qu'il s'agit juste d'un prêt.

   — Mais c'est pour vous que je travaille depuis tout ce temps...

   Clark m'adressa un sourire plein d'empathie. Il était si beau quand il me regardait ainsi. En fait, je le trouvais toujours beau, mais il valait mieux autant pour moi que pour lui que je ne lui parle jamais de mes sentiments. Il fut celui qui m'accueillit lorsque je n'avais plus rien ni personne et que j'errais d'un motel miteux à l'autre. J'étais aussitôt tombée amoureuse de lui. Avec le temps, j'avais pris conscience que son 'entreprise familiale' n'était pas aussi légale qu'elle le paraissait et que les dizaines de paquets de poudre blanche que je voyais souvent ses employés transporter n'étaient certainement pas du sucre en poudre. Mais je m'en fichais, car je l'aimais. Des années d'entraînement plus tard, j'étais devenue digne de devenir celle à qui il pouvait confier sa vie. Pas en tant qu'épouse, malheureusement, mais en tant que garde du corps. À mes yeux, cette position était tout autant un honneur. Et pourtant, il restait quelque chose en moi qui en espérait plus.

   Il prit la parole à nouveau avec cette même tonalité presque paternelle dans la voix, comme si je n'étais qu'une enfant à qui il essayait d'en dissuader un caprice.

   — Ellie. Ce n'est qu'une situation temporaire qui ne devrait durer qu'à peine un peu moins d'un mois. Il n'y a aucune raison pour que cela se passe mal.

   J'acquiesça d'un sourire. Ce n'était pas le fait de travailler pour quelqu'un d'autre qui me causait du soucis. C'était le fait qu'il puisse me prêter comme n'importe laquelle de ses employées, moi qui pensais que j'étais celle qui était la plus proche de lui. Je ne lui en voulais pas : les seuls coupables de mon tourments étaient mon ego et mes rêves d'amoureuse transis.

[EN PAUSE] Douce ViolenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant