Chapitre 23 : L'heure de la fête

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   Un peu avant dix-neuf heures, les premiers invités commencèrent à arriver. La plupart étaient bouches bées devant la beauté du manoir, et il y avait de quoi. L'endroit était somptueux, encore plus que d'habitude. Le sol en marbre ancien, qui avait été lustrée par bien plus de domestiques que nécessaire, reflétait les lueurs des lustres au plafond, illuminant le hall dans son intégralité. La plupart des meubles avaient été retirés ou poussés, ce qui donnait l'illusion d'une immense salle de bal.

   Tout le monde était sur son trente-et-un, serveurs comme invités. Ces derniers, sous une façade de bonnes manières, s'empressèrent, chacun à un rythme différent, de se servir une coupe de champagne.

   Rebecca, de son côté, était radieuse. Son styliste attitrée (car il était apparemment possible d'en avoir un quand on était la fille d'un puissant chef mafieux), lui avait fait confectionner une sublime robe de soirée bleue satinée qui se mariait parfaitement avec les saphirs qui lui faisaient usage de boucles d'oreilles. Pour ma part, j'étais simplement vêtue d'un costume noir, comme les autres gardes du corps. Les paillettes ne correspondaient pas à ma profession.

   Debout contre le mur, comme la plupart du reste du personnel de sécurité, j'avais une vue d'ensemble sur toute la salle. De là où j'étais placée, je pouvais apercevoir Rebecca s'avancer d'un peu trop près du bar avec ses amies. Elle savait très bien que l'alcool lui était prohibé, les drogues encore plus, et une partie de mon travail consistait à m'assurer que cela ne change pas.

   Je m'apprêtai ainsi à m'approcher pour lui dissuader toute envie de toucher à la bouteille, jusqu'à ce que quelqu'un me devance. Dario. Il vint à la rencontre de sa fille, posa sa main sur son épaule et je devinai, comme je ne pouvais pas les entendre, qu'il venait de la mettre en garde. Elle fit la moue, et un sourire s'extirpa de sa façade de père sérieux.

   Les voir ainsi ensemble me pinça le cœur plus que cela n'aurait dû. La pauvre enfant n'avait pas la moindre idée du sort tragique qui attendait son père, ni des horreurs que les mains de ce dernier avaient dû infliger. Je savais désormais que Dario méritait sans doute ce qui l'attendait, mais il était peu probable que « la volonté de rendre justice » soit une excuse qu'elle accepterait d'entendre aux funérailles.

   Avant que la culpabilité n'ait la chance de me ronger davantage, je sentis une présence arriver de bien trop près sur ma gauche. Mes yeux se tournèrent alors vers un homme d'âge moyen à la mine rougie, clairement ivre, qui me souriait bêtement. Je levai les yeux au ciel, devinant déjà ce qui allait arriver.

   — Qu'est-ce que tu fais ici toute seule, ma belle ? demanda-t-il d'une voix qui n'avait rien de sobre.

   Je retins un haut-le-cœur à son haleine alcoolisée. Je restai droite, muette, sans même prendre la peine de lui accorder un regard. Comme je ne répondis pas, il claqua subitement les doigts devant mon visage, et je sentis mon sang bouillir sous mes veines.

   — Hé, tu m'écoutes ? dit-il d'un ton infiniment agaçant.

   — Je dois rester à mon poste, monsieur. Si vous avez besoin de quelque chose, demandez à un serveur. Sinon, dégagez.

   — Whoa, t'es du genre froide, toi. Tu ne voudrais pas sourire un peu ?

   Cette fois, je lui jetai un regard noir, et il eut le réflexe de reculer. Mais toujours pas de foutre le camp. S'il osait ne serait-ce que me frôler d'un chouïa, je n'allais pas hésiter une seule seconde à le balancer dehors par la peau des fesses.

   — Quel gâchis de porter un costume quand on a un corps pareil, continua-t-il. Tu serais tellement plus attirante en robe. Et avec une mine plus joyeuse, hein. Aucun homme ne voudra jamais de toi si tu persistes à faire constamment la gueule !

[EN PAUSE] Douce ViolenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant