Chapitre 22 : Pressentiment

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   Les préparatifs de la fête gagnèrent en rapidité sous l'œil avisé du maître de maison. Traiteurs, serveurs, décorateurs et mêmes gardes du corps, tout le monde s'affairait à ce que la soirée se déroule à la perfection.

   Lorsque l'on m'avait mentionné cet évènement il y a quelques temps, je ne l'avais vu que comme un incident quelconque qui n'aurait pour conséquence que de me faire travailler des heures supplémentaires, et n'y avais donc pas accordé plus d'attention que cela. Mais maintenant, je découvrais je n'avais plus trop le choix, car tout le monde ne parlait que de ça.

   L'anxiété de tout le personnel était contagieux, et pire encore, les récents évènements m'avaient laissé croire que je ne devais pas prendre tout cela à la légère. Les salles bondées en pleine crise ne faisaient pas bon ménage, et mon instinct m'intimait de me méfier. Zack ne m'avait rien dit sur le sujet, mais je restais suspicieuse. Non pas qu'il l'aurait fait, les dernières révélations n'avaient en rien fait de nous des amis et il n'était pas du genre à blablater autour d'un thé de son prochain meurtre planifié.

   J'avais fait des recherches sur Dario d'après les informations qui m'avaient été données, plus particulièrement sur ces fameuses compagnes disparues. Plus tard, à l'abri des regards, j'avais à nouveau fait part de mes doutes à Zack, et au cours de la conversation, il m'avait fait part des noms de plusieurs de ces femmes afin que je vérifie par moi-même ses dires. Lorsque je les avais entendus, il me sembla évident qu'il ne m'avait pas donné des noms au hasard : j'en avais déjà entendu certains dans le passé dès qu'une rumeur sur « Dario le Don Juan » arrivait jusqu'à la demeure de Clark.

   J'étais ainsi tombée sur plusieurs profils sur diverses réseaux sociaux. Ils étaient tous relativement anciens, à en juger par les dates des dernières publications et des coupes de cheveux datés des femmes en question. La publication la plus récente ne l'était pas tant que ça, et m'indiqua que cela devait être la dernière relation à peu près sérieuse qu'avait eu Dario avant de se tourner vers des conquêtes plus « brèves et faciles ».

   Zack ne m'avait en effet pas menti, car je trouvai quelques photos de ces jeunes femmes, en général à des soirées luxueuses, posant fièrement au bras de Dario. Ce dernier ne regardait jamais l'objectif. Il y avait quelque chose d'inhabituel à le voir ainsi, à des âges différents, la main autour de la taille de compagnes désormais disparues.

   Sans vraiment y penser, j'avais zoomé sur son visage. Son regard n'était pas le même qu'aujourd'hui. L'homme sur les photos avait cette aura sombre et dangereuse autour de lui qui se déversait depuis les profondeurs de ses prunelles fuyantes. Ce n'était pas qu'il ne l'avait plus, mais aujourd'hui, c'était simplement... différent. Je ne trouvais pas cette aura effrayante quand elle m'enveloppait. Au contraire, il y avait quelque chose de protecteur en elle.

   Mais sans doute ne devais-je pas faire confiance à cette impression, car visiblement, c'était comme si toutes ces femmes s'étaient bel et bien évaporées du jour au lendemain.

   Alors quoi, Dario le dangereux chef mafieux était un tueur de femmes ? Et je serais potentiellement la prochaine à envisager sur la liste ? Comment pouvais-je rester sans rien faire ?

   La nuit précédant la fête, je croisai volontairement le moins de monde possible afin d'accorder à mes pensées toute la place dont elles avaient besoin. Avant de me coucher, je vérifiai mon stock de munitions. Le choix ne m'appartenait pas. J'allais faire ce qu'il y avait à faire.

* * *

   Le jour J, je fus réveillée aux aurores par le boucan du personnel de maison, déjà à l'ouvrage. La journée tant redoutée venait de débuter, et cela ne servait plus à rien d'espérer être capable de remonter le temps.

   Je pris ma douche et m'habillai, la tête ailleurs, dans un silence douloureux. Je tentai en vain de penser à autre chose, d'essayer de me focaliser sur la sensation agréable de la chaleur sur ma peau, mais les paroles de Zack ne cessaient de me revenir en tête. Sur le fait de coller une balle entre les deux yeux de Dario. Les images morbides qui en découlaient manquèrent de me donner un haut-le-cœur. Au moment de m'équiper comme chaque matin, je méditai cette fois-ci longuement sur mon revolver. Son poids m'avait-il toujours paru aussi lourd ?

   Le petit-déjeuner en compagnie de Rebecca fut compliqué, de même que le déjeuner. Pas pour elle, vu qu'elle passa la plus grande partie de ce temps à blablater avec enthousiasme sur la soirée à venir. Je serais cependant incapable de répéter de quoi elle avait bien pu parler. Sa voix, à ce moment-là, m'avait semblé si lointaine.

   Dans l'après-midi, lorsque je croisai au loin le regard de Dario et l'évitai aussitôt, Rebecca posa sa main sur mon bras.

   — Est-ce que ça va ? me demanda-t-elle.

   — De quoi ? balbutiai-je.

   En temps normal, j'aurais évité un tel manque de politesse envers ma « patronne », mais ce n'était pas comme si j'arrivais actuellement à penser correctement.

   Ses lèvres s'étirèrent en un léger sourire alors qu'elle inclinait la tête.

   — Des problèmes avec mon père, pas vrai ?

   — Quelque chose comme ça, mentis-je sans vraiment le faire.

   — Donc il y a bien quelque chose entre vous ?

— À vrai dire, je ne sais pas trop moi-même.

   Elle se tut un instant. Ses yeux se plongèrent dans les miens, compatissants.

   — Je sais que c'est difficile, avec mon père, dès qu'il s'agit de faire confiance aux autres. Mais j'ai vu comment il est avec toi, et je peux te dire que malgré l'image qu'il se donne, il tient à toi. Beaucoup.

   Peut-être même au point de vouloir ma mort.

   Je hochai la tête et lui répondis d'un sourire, ce dont elle sembla se satisfaire. J'aurais aimé lui dire plus, la remercier, mais j'avais peur qu'elle puisse déceler la culpabilité dans mes mots. J'allais participer à faire de cette fille une orpheline. Soit de ma propre main, soit par celle d'un autre. Ce qui, dans les deux cas, serait désastreux pour elle.

   — En tout cas, conclut-elle avec un clin d'œil malicieux, quoi que tu fasses, tu as tout mon soutien.

   Je ne répondis rien à cela.

[EN PAUSE] Douce ViolenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant