Au cœur de la librairie

📚𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 𝓼𝓮𝓬𝓸𝓷𝓭📚

Langa avait été un peu à la ramasse pour son premier jour, alors il espérait se rattraper le lendemain. Il avait mis un temps fou à ranger le livre que Reki lui avait confié, et ne l'avait même pas placé au bon endroit — c'était un polar, or il l'avait rangé dans les livres de littérature américaine, ce qui n'est pas tout à fait pareil. Ensuite, il avait fallu réceptionner les cartons pour les emmener dans la réserve. Langa avait bien failli en renverser un, déclenchant ainsi une frayeur chez le libraire et un éclat de rire de Reki qui semblait beaucoup s'amuser.

Les horaires de Langa étaient simples : il travaillait sept heures par jour, trois et demi le matin et trois et demi l'après-midi. Même si ce n'était pas la mort, Langa avait bien senti les heures passer, voire les minutes qui lui semblaient s'être écoulées au ralenti. Comme lui avait dit le libraire, son passe-temps principal consistait à ranger des livres, à les réaligner et à tous les décaler d'un cran lorsqu'il fallait en caser un nouveau alors que les étagères étaient déjà bien remplies.

Langa s'était vite aperçu que Reki était un habitué : pendant qu'Oka conseillait des clients, il se chargeait de remettre des livres manquants ou d'encaisser les gens venus chercher le journal. Il était bien plus réactif que lui qui se contentait de le suivre un peu partout. Il avait quand même pris l'initiative de ranger les mangas à un moment donné, et c'était bien la seule partie de sa journée dont Langa était fier. Reki l'avait même félicité et remercié de l'avoir fait, Langa avait senti son coeur se réchauffer et avait bafouillé une espèce de « de rien ».

Il était donc déterminé à ne plus répéter les mêmes erreurs et à être davantage un stagiaire utile plutôt qu'un boulet. Ainsi, il était à peine huit heures cinquante-cinq que Langa était déjà devant la boutique, le regard frais et les cheveux bien coiffés. L'apercevant derrière le store en tissu, Oka lui fit signe de faire le tour et de passer par la réserve.

Alors qu'il relevait les stores et ouvrait la librairie, Langa pris l'initiative d'installer les présentoirs à cartes postales sans qu'on le lui demande. Ce n'était qu'une petite tâche comparée à tout ce que Reki apportait à la librairie, mais Langa se sentait déjà un peu moins inutile.

— Bonjour ! T'es déjà là Langa ? Comment tu vas aujourd'hui ?

— Reki ! Il est neuf heures cinq !

— Vraiment ?

Le libraire se pinça le nez, il semblait se retenir pour ne pas chopper ce sale gosse par le col et lui encastrer la tête dans une étagère. Sentiment qui semblait être partagé par son chat roux aux longues oreilles qui lui donnaient l'apparence d'un petit renard. Langa l'avait découvert alors qu'il suivait Reki et l'aidait à réarranger les étagères de livres pour enfant. Il dormait tranquillement sur une pile de livres, Langa n'avait pas pu retenir un cri de surprise lorsque sa main s'était échouée dans sa fourrure chaude alors qu'il pensait attraper un livre.

Ce qui avait d'ailleurs beaucoup fait rire Reki, encore une fois.

Le chat-renard l'avait fusillé du regard pour l'avoir dérangé dans sa sieste, et depuis, il semblait le détester. Il s'était senti un peu mieux lorsque Reki lui avait appris qu'il ne l'aimait pas beaucoup non plus.

— Bien et toi ?

Reki lui offrit un grand sourire et un pouce en l'air pour toute réponse. Il avait troqué son sweat jaune contre un tee-shirt sous une chemise à manches courtes. La veille, Langa s'était d'ailleurs demandé par quel miracle il avait réussi à tenir toute la journée malgré la chaleur et son sweat sur les épaules.

— Au fait Reki, tu l'as briefé sur notre petit projet de la semaine ?

Reki mit un doigt sous son menton, comme s'il cherchait à quoi Oka faisait référence.

— Ah non, pas encore !

— Cette semaine, on fête les un an de la librairie. On organise un apéro, de dix-huit heures à vingt-heures, pour les habitués du coin. Ça se passe vendredi, on te dira quoi faire le moment venu. Et jeudi, on change les vitrines pour exposer des livres en rapport avec l'infinité, toujours pour fêter les un an.

Langa hochait la tête au fil de ses explications. Reki trépignait sur place à côté de lui, comme s'il avait hâte de s'y mettre.

— Il reste un carton à déballer dans la réserve. Revenez me voir quand vous aurez fini.

Ils acquiescèrent et se dirigèrent vers l'arrière du magasin. A peine la porte fut-elle ouverte qu'une agréable odeur de caféine vint prendre d'assaut leur odorat. Il y avait une cafetière dans les toilettes, son parfum envahissait la pièce dès qu'Oka venait se faire un café. A chaque fois qu'il reniflait cette odeur, Langa se sentait un peu mieux. Elle suscitait en lui une espèce de nostalgie qu'il ne parvenait pas à identifier.

Reki posa le carton sur la table au milieu de la réserve pendant que Langa s'asseyait. C'est ainsi qu'ils avaient pris l'habitude de gérer un carton : Reki l'ouvre à l'aide d'une espèce de spatule en bois pour décoller les coins sans l'abîmer — Langa avait vite compris que les moyens de cette librairie n'étaient pas très élevés —, Langa commence à en sortir les livres, et Reki attrape le bon de livraison du carton pour rayer les livres qui y sont au fur et à mesure que Langa le déballe.

Cette fois, ce fut Langa qui trouva la feuille bien cachée sous une pile de livres au fond du carton. Ses doigts frôlèrent ceux de Reki lorsqu'il la lui tendit. Reki ne sembla pas s'en apercevoir, mais ce contact avait électrisé Langa au point qu'il s'était même senti un peu rougir. Lorsqu'ils finirent la tâche que leur avait confiée le libraire, ils le rejoignirent dans la librairie, attendirent qu'il ait fini de parler avec une cliente et lui tendirent la feuille de l'inventaire.

— Merci. Bon, j'aurais un travail à vous faire faire. Il y a un petit festival dans la ville d'à côté qui porte sur le thème des chats. J'aimerais créer un petit espace pour y mettre leurs flyers, cette petite affiche du festival et des livres en rapport avec les chats. Y a pas mal de clients ce matin, alors je vous laisse vous en charger, ça marche ?

Devant l'enthousiasme plus qu'évident de Reki, Langa esquissa un petit sourire et hocha simplement la tête.

— Je verrais bien le coin par là, sur les étagères basses des BD... Attendez, je vais retirer les livres qui y sont pour vous faire de la place...

— Tu-tu-tu, le coupa Reki, tu nous as confié cette tâche, c'est à nous de nous en charger. Tu devrais plutôt aller conseiller la dame dans le rayon jeunesse qui semble hésiter à acheter un livre pour son fils.

— Bien vu, répondit Oka en se penchant pour apercevoir la cliente. Je vais lui conseiller le livre le plus cher.

Tandis qu'il rejoignait cette jeune maman, Reki éclata de rire devant l'air indigné de Langa.

— T'inquiète, c'est de l'humour, il est pas comme ça !

Rassuré, Langa acquiesça sous le regard félin de Sketchy qui profita d'avoir la paix pour se replonger dans sa sieste, blotti entre les fournitures de papeterie.