— Ce soir on fête les un an de la librairie. L'apéro commence à dix-huit heures, une amie devrait arriver une heure avant avec la bouffe à installer. Les chaises et tables pliantes sont dans la réserve.
— Tu vas laisser ce pack de bières et ces bouteilles de rosé sur le comptoir toute la journée ? le coupa Reki.
— Non, ça se garde au frais, et on n'a pas de frigo. Je me suis arrangé avec le patron du restaurant d'en face pour incruster nos boissons dans son réfrigérateur en attendant dix-huit heures. Vous pourriez les lui apporter ? Dites-lui que vous venez de ma part.
Reki et Langa se jetèrent un regard avant d'acquiescer. Ils prirent les bouteilles et sortirent de la boutique. Le ciel était nuageux, Oka priait pour qu'il ne pleuve pas. Il pouvait dire adieu à son apéro ensoleillé si le ciel décidait d'en faire des siennes.
— T'as déjà mangé chez Joe ? demanda Reki.
Langa mit quelques secondes avant de comprendre qu'il faisait référence à l'enseigne du restaurant et pas à une personne nommée « Joe ». Il secoua la tête en signe de négation.
— Non. Je ne vais pas beaucoup au restaurant.
— Tu sais pas ce que tu rates ! J'y ai déjà mangé plusieurs fois avec Oka, et on se régale à chaque fois ! Faudra qu'on y mange ensemble un jour !
Tandis qu'ils traversaient la grande place du centre-ville au bout de laquelle se trouvait le restaurant, Langa sentit ses joues s'empourprer. Il perdait tous ses moyens face au sourire éclatant de Reki et à sa bienveillance naturelle. Il se contenta d'acquiescer, de peur de balbutier s'il osait ouvrir la bouche.
— Et puis le patron est très sympa. Tout le monde l'appelle Joe, à cause du nom de son resto, mais je crois pas que ça soit son vrai prénom.
Comme à chaque fois, Langa était si attentif aux paroles de Reki qu'il ne s'aperçut même pas qu'ils étaient déjà arrivés à destination. Ce ne fut que lorsque Reki poussa les portes du restaurant et qu'il apostropha le patron sans la moindre gêne qu'il se rendit compte qu'ils avaient déjà fini de parcourir les quelques dizaines de mètres qui séparaient la librairie de « Chez Joe ».
— Suivez-moi, je vais vous montrer où est le frigo, leur dit un grand homme assez costaud aux cheveux verts en tenue de chef cuisiner.
Langa présuma qu'il s'agissait dudit Joe. Ils le suivirent jusqu'en cuisine où quelques cuisiniers semblaient déjà s'activer. Une bonne odeur d'épices et de vaisselle propre flottait dans l'air. Tandis que Reki suivait Joe à la trace sans s'émouvoir — ce n'était pas la première fois qu'il mettait les pieds ici, vu l'assurance de ses pas —, Langa était un peu plus distrait et prit le temps d'observer cette grande cuisine de restaurant.
Langa était curieux. Il détaillait chaque plan de travail avec attention, comme s'il aurait voulu se souvenir du moindre ustensile de cuisine, du moindre geste du personnel, du moindre détail. Alors qu'il tentait d'identifier quelle était cette herbe dont l'odeur venait de s'incruster dans ses narines, il percuta le dos de Reki qui s'était arrêté, les faisant ainsi tous les deux sursauter.
— Désolé, je ne regardais pas où j'allais, s'empressa-t-il de s'excuser.
— T'inquiète, ça m'a fait cet effet-là aussi la première fois que je suis venu !
Langa avait eu peur de lui avoir fait mal, mais son inquiétude s'envola rapidement face au sourire rassurant que lui lança Reki. Joe tenait la grande porte d'une armoire réfrigérée et les observait avec un sourcil arqué, comme s'il se demandait quelle était la nature de leur relation. Il ne fit néanmoins pas de commentaire et se contenta de leur tenir la porte jusqu'à ce qu'ils aient déposé toutes les boissons qu'ils avaient emportées.
— Comment tu t'appelles ? demanda Joe en refermant la porte, regardant Langa droit dans les yeux.
— Langa.
— C'est la première fois que je te vois. C'est toi, le nouveau stagiaire ?
Langa hocha la tête, fébrile face à cet interrogatoire auquel il ne s'était pas attendu. Ils faisaient le chemin inverse en direction de la sortie, Langa espéra que ses questions s'arrêtent là.
— Si ça te dit, tu pourras venir manger avec Reki un de ces quatre. Je vous offrirai le repas.
Joe sourit en coin en apercevant les joues rouges de Langa. Il avait vu juste, visiblement. Ce n'était pas vraiment son style de jouer les entremetteurs. D'habitude, il préférait ne pas se mêler des affaires des autres et laisser les gens faire ce qu'ils veulent. Mais leurs regards qui se cherchaient et leurs gestes maladroits lui avaient rappelé ses premiers pas dans sa relation avec son mari, il n'avait pas pu s'empêcher de donner un petit coup de pouce à ces jeunes qui avaient trop peu confiance en eux pour se rendre compte que l'attirance était mutuelle.
— Tu nous offres le repas, sérieux ?! s'enthousiasma Reki. Moi qui croyais que t'étais un gros radin ! Ça te dit Langa ?!
— Comment ça, un gros radin ?
— Oui, j'aimerai bien déjeuner avec toi.
Alors que Joe s'apprêtait à embrouiller Reki pour lui demander des explications quant à ce défaut qu'il ne pensait pas avoir, il se ravisa en apercevant le regard brillant qu'il adressait à Langa. Il soupira, se gratta la nuque et les raccompagna jusqu'à l'entrée. Alors qu'il leur disait au revoir et les regardait s'éloigner en direction de la librairie, il songea à ses années de lycée et à sa rencontre avec Kaoru, son mari depuis maintenant trois ans.
Ses souvenirs n'étaient plus très clairs, cette époque était assez lointaine. Néanmoins, s'il y avait bien une chose qu'il n'avait pas oublié, et qui le faisait désormais doucement sourire, c'était ce regard brûlant que lui portait Kaoru à l'époque et qui lui donnait la sensation d'être invincible. A leur manière, Langa et Reki lui avaient rappelé les prémices de leur relation. Ils étaient jeunes, naïfs et innocents, Joe se surprit à les envier un peu.
Ça faisait longtemps qu'il était avec Kaoru. Le temps passé à ses côtés avait un peu atténué la passion de leurs premières années de couple. L'amour qu'ils se portaient avait évolué en amour vache, ils s'insultaient, se cherchaient, avant de fondre dans les bras de l'autre et de s'engueuler à nouveau cinq minutes après. Mais Joe avait beau s'en plaindre, l'idée de quitter Kaoru ne lui avait jamais effleuré l'esprit.
Il songea qu'il pourrait passer chez le fleuriste, un de ces jours. Il avait envie de faire plaisir à son mari, ça faisait longtemps qu'il ne lui avait pas témoigné ses sentiments à travers une petite attention.
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Au cœur de la librairie
FanfictionLanga a fini sa première année de lettres modernes. Pour l'occuper cet été, sa mère décide de lui faire faire un stage de quinze jours dans une librairie de quartier. Au début, Langa n'est pas très enthousiaste. Il aurait bien aimé passer ses vacan...