— Patron, votre sourire fait fuir les clients.
Le sourire de Joe tomba automatiquement. Accoudé au comptoir de son restaurant, il épiait la table de Langa et Reki depuis qu'il était sorti de la cuisine. Il était vrai qu'il ressemblait davantage à un voyeur qu'à un homme innocent qui désirait simplement assister à l'avancée d'une relation.
— Je me passerai de tes remarques, grinça-t-il devant l'air espiègle de sa serveuse.
— Je me demande bien ce qu'il vous est passé par la tête pour leur offrir le repas.
— J'ai le droit d'être généreux avec les stagiaires de mon ami, non ?
— Ils sont mignons hein ?
Elle les regardait avec la même douceur que Joe avant qu'il ne se fasse interrompre dans son observation. Sur la défensive, Joe finit par hocher la tête. Reposant sa tête sur son coude, il continua à les suivre des yeux jusqu'à ce qu'ils aient quitté leur table.
— Vous et Kaoru devriez en prendre de la graine. Vous n'êtes pas mignons du tout quand vous êtes ensemble.
— Retourne astiquer les tables si tu ne veux pas que je réduise ton salaire.
— A vos ordres patron.
Rassasiés, Reki et Langa venaient de quitter le restaurant d'un pas tranquille. Sortant son portable de sa poche, Reki avait remarqué qu'il n'était que treize heures trente. Puisque la librairie ouvrait à quinze heures, il leur restait encore une heure et demi à tuer. Un sourire joyeux étira ses lèvres en faisant cette constatation.
— Qu'est-ce que tu veux faire ? demanda-t-il en lui montrant l'heure sur son écran.
— Hm...
Pensif, Langa leva la tête vers le ciel bleu qui avait commencé à se couvrir de quelques nuages blancs. Les rues pavées réfléchissaient les rayons du soleil qui venaient taper contre les vitres des boutiques. Il n'y avait pas grand monde au centre-ville à cette heure-là. D'autant plus qu'il commençait à faire chaud, et que le vent était tombé.
— Je n'ai pas d'idée, avoua Langa. Et toi ?
— Je connais un parc où on peut faire de la balançoire. C'est pas loin d'ici, ça te dit ?
Avec ses étoiles dans les yeux et son grand sourire, Reki ressemblait plus à un enfant un peu trop naïf qu'à un jeune adulte de dix-neuf ans. Il était difficile pour Langa de refuser. De toute façon, qu'importe l'activité : si ça rendait Reki heureux, alors lui aussi était satisfait. Il acquiesça, et sourit en entendant Reki lui répondre par un cri de joie. Changeant ainsi de direction, Langa le suivit en silence, les yeux fixés sur leurs bras qui se balançaient à côté de l'autre. A chaque fois qu'ils se frôlaient, Langa avait l'impression d'être parcouru par un petit courant électrique.
Il ne tardèrent pas à déboucher sur une étendue d'herbes après avoir passé la nationale qui s'étendait juste devant le centre-ville. Un cours d'eau s'écoulait doucement en contre-bas, son clapotis constituait la plus grande source de bruit du paysage. On n'entendait rien d'autre, à moins de tendre l'oreille et de percevoir de lointains vrombissements de voiture. Au bout d'un chemin de cailloux, Langa aperçut enfin les fameuses balançoires dont Reki avait parlées.
Non loin d'un saule pleureur, sous une arc en acier, deux balançoires pendaient tristement, l'air d'attendre qu'on s'amuse enfin avec elles. D'un geste de la main, Reki fit signe à Langa de le suivre jusqu'à elles. Se sentant tout à coup nostalgique, Langa s'assit sur la frêle balançoire avec précaution et se saisit des ficelles qui la soutenait du bout des doigts.
— Je venais souvent ici quand j'étais petit, dit Reki qui avait déjà commencé à se balancer. J'ai toujours adoré la balançoire, plus que les autres structures qu'on peut trouver dans des aires de jeu d'ailleurs. Je sais pas trop pourquoi. Je crois que c'est cette impression de flottement, comme si on allait finir par décoller, qui me faisait kiffer.
Langa avait également débuté ses va-et-vient. Le courant d'air que lui procurait ses mouvements le rafraîchissait.
— Je vois ce que tu veux dire, répondit-il simplement, se laissant bercer par les montées et descentes répétitives de la balançoire.
— Mais t'as vraiment jamais mis les pieds ici ? T'habites dans cette ville pourtant, non ?
Langa se pinça les lèvres, Reki sentit qu'il n'aurait peut-être pas dû insister.
— J'habite à l'autre bout, je m'aventure rarement aussi loin. Et puis, quand j'étais petit, je préférais rester chez moi à jouer dans ma chambre. Je n'aimais pas beaucoup sortir.
Inconsciemment, Reki avait cessé de se balancer. Bien que Langa continue à remuer ses jambes et que son visage soit resté de marbre, il aurait pu jurer voir passer une lueur de tristesse dans ses yeux bleus comme le ciel. Sans vraiment se rendre compte de ce qu'il faisait, il attrapa la main de Langa qui tenait la corde de la balançoire. Le geste avait été doux, mais Langa avait sursauté et s'était tourné vers Reki avec les sourcils haussés et les joues rouges, arrêtant aussi de se balancer.
S'apercevant soudain de ce qu'il venait de faire, Reki sentit ses joues chauffer et son coeur tambouriner dans sa poitrine aussi rapidement que celui de Langa lorsqu'il avait senti sa main se poser sur la sienne. Il hésita à la retirer, il la sentait devenir moite au fil des secondes qui défilaient. Il voulut ouvrir la bouche, mais les seuls mots qui en sortir furent des balbutiements difficiles à comprendre.
— Merci, Reki.
Heureusement, Langa n'avait pas eu besoin d'autre chose que ce simple contact pour se sentir mieux. Malgré les mots qui étaient restés bloqués au fond de sa gorge, Langa avait compris le message qu'il désirait lui faire passer. Rassuré d'avoir eu le bon réflexe, Reki lui sourit en retour, savoura les derniers instants de ses doigts maladroitement accrochés à la main de Langa, et se remit à se balancer.
Le temps était à la fois passé trop vite et trop lentement. Ils en avaient perdu la notion, trop préoccupés par leur attirance et leurs sentiments qu'ils avaient de plus en plus de mal à contrôler. Si Reki n'avait pas eu la présence d'esprit de regarder son téléphone, sans doute seraient-ils encore là à se balancer malgré l'ouverture de la librairie. Se mettant à courir pour ne pas arriver en retard, ils s'élancèrent dans les rues du centre-ville, faisant résonner en rythme leurs pas sur les pavés.
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Au cœur de la librairie
FanfictionLanga a fini sa première année de lettres modernes. Pour l'occuper cet été, sa mère décide de lui faire faire un stage de quinze jours dans une librairie de quartier. Au début, Langa n'est pas très enthousiaste. Il aurait bien aimé passer ses vacan...