27* Non-dits

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2565 mots

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25 juillet

Lac Biwa
Préfecture de Shiga
Japon

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Allo, Yumi ? C'est papa.

Vide. C'est le mot qui décrit le mieux l'état dans lequel je me sens. Je ne sais pas depuis combien de temps exactement je suis ici, sur le sol inconfortable de cette salle de bain. Probablement quelques heures puisque le lampadaire dehors, la seule source de lumière qui éclairait cette pièce aigue, s'est éteint. Et je n'ai pas pris la peine d'aller appuyer sur l'interrupteur, face à moi. Mes membres amorphes ne sont pas capables d'esquisser le moindre mouvement.

Ça doit faire un bon moment que je suis ici, et pourtant, j'ai l'impression que ça fait à peine quelques minutes.

Vide, je me sens vide. Sans la moindre émotion ni même sentiment. Même la douleur lancinante dans ma nuque, basculée en arrière contre le rebord dur de la baignoire, me semble lointaine. Et pourtant, aussi inconfortable que soit cette position, je n'ai pas la force ni même la motivation de me déplacer. Je me contente de fixer sans le voir le plafond, qui est pourtant loin d'être attrayant. Et pourtant, ça ne m'empêche pas de l'observer depuis tout ce temps. Intéressant ou pas, je m'en moque un peu, à vrai dire. Avec les milles et une questions qui me taraudent, celle de savoir pourquoi ce plafond à quelque chose de si hypnotique fais bien partie de mes derniers soucis.

Je ne pleure pas. Ou plutôt, je ne pleure plus. Mes joues me tirent un peu à cause de mes larmes depuis longtemps séchées sur leur surface, et mes yeux ne m'ont jamais paru aussi secs. Ils doivent probablement être rouges et bouffis suite au passage de mes larmes. Et puis, il y a ce nœud dans ma gorge asséchée. Ce nœud, qui m'empêchait de respirer correctement tout à l'heure, ne semble toujours pas vouloir se défaire. Un long soupir légèrement saccadé me parcourt sans que j'en prenne réellement conscience. Seigneur. Je dois vraiment avoir une sale tête, là.

On dit toujours que c'est lorsqu'on s'y attend le moins que ça arrive le plus. Et dieu sait à quel point je ne m'attendais pas à recevoir ce coup de fil.

Allo, Yumi ? C'est papa.

J'avais raccroché. Immédiatement. Sans lui laisser le temps de rajouter le moindre mot, et sans même en prononcer moi-même un seul de plus. Mais c'était déjà trop tard. Le mal avait été fait, et tous les souvenirs que j'avais soigneusement laissé dans un coin de ma tête ont resurgi d'un coup.

Allo, Yumi ? C'est papa.

Cette phrase, j'aurais préféré ne jamais avoir à l'entendre. Elle tourne en boucle dans ma tête depuis des heures, avec ce timbre de voix à la fois si étranger et familier. Il m'est tout bonnement impossible de me la sortir de la tête, tout comme il m'est impossible de penser à autre choses. Mes pensées sont obnubilées par mes souvenirs du passé, que j'ai prétendu avoir oublié pendant tout ce temps. Et bordel, ça me donne la migraine comme jamais. J'ai la tête qui tourne, j'ai chaud, j'ai froid, et ma vision est plutôt trouble. C'est comme si j'étais en pleine redescente, après avoir couplé une quantité indécente d'alcool à quelques lattes d'un joint bien chargé. Mais j'ai beau ne pas être ni ivre, ni stone, l'effet est le même : la seule chose qu'il reste, c'est un corps vide de toute émotion dont l'esprit est totalement déconnecté.

-Yu' ? T'es encore là ?

La voix de Mina résonne dans la pièce, et il me faut quelques instants pour me rappeler qu'on est toujours en appel. C'est vrai qu'à un moment, le choc passé, je l'ai appelée. Et malgré l'heure déjà tardive, elle a répondu à la première sonnerie.

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