Kitty

Chapitre XIII

Alexei regardait les légumes sur lesquels il venait de versait de l'eau, essayant de ne pas penser à son frère qui jouait sur la table de la cuisine derrière lui. Il y a trois jours, après sa crise de panique au club, Christian et lui avaient choisi de déménager. Mais encore fallait-il qu'il arrive à convaincre son frère que c'était une bonne décision pour que sa famille ne vienne pas les en empêcher. Mais cette discussion l'angoissait. Il avait l'impression de ne rien gérer. Qu'allait-il faire si son frère refusait de déménager ? Et s'il se plaignait de lui ou de Christian à sa famille ? Il n'oubliait pas que jusqu'à la fin du mois, il était dans une sorte de période d'essai, et il ne voulait pas de nouveau perdre son frère. 
Il inspira profondément pour se calmer. Il devait absolument arrêter d'imaginer le pire. Il n'y avait aucune raison que ça se passe mal. Il jeta un dernier regard à la soupe qui mijotait tranquillement et inspira de nouveau pour faire le plein de courage. Il alla s'asseoir devant son frère et l'observa jouer pendant quelques instants. 

— Nicolas… Christian et moi, on aimerait changer de maison, lâcha-t-il enfin.
— Pourquoi ? Vous allez me laisser ?
— Non ! Non, on veut que tu viennes avec nous ! Tous les trois dans une nouvelle maison !
— Mais… pourquoi ? Elle est bien la maison ! 
— C'est celle de papa et maman, on se sent pas à notre place ici. On aimerait trouver une maison pour tous les trois, on est une famille maintenant.
— Je veux pas partir ! 

Alexei se mordit la lèvre. Il avait peut-être eu raison d'imaginer le pire finalement. Évidemment, que ça ne pouvait pas bien se passer. Son frère ignorait tout de ce qui s'était passé dans cet endroit avant sa naissance. Il voulait le préserver de tout ça et lui laisser l'image qu'il avait conservée de ses parents. Il ne pouvait donc pas comprendre pourquoi ils voulaient déménager et lui expliquer revenait à briser le peu qu'il lui restait de ses parents. 

— C'est… c'est très important, Nicolas. Et puis, on ira pas loin, tu continueras à aller à la même école et à voir tes amis…
— C'est la maison de papa et maman ! Je veux pas partir ! Puis d'abord, Christian il est pas de ma famille ! Je l'aime pas ! 

Alexei se figea. Son cerveau refusait d'accepter ce qu'il venait d'entendre. Tout mais pas ça. Pas ce choix terrible entre son frère et son mari. Il ne pouvait pas le faire, il ne pouvait pas… 
Il tenta d'inspirer et d'expirer le plus calmement possible. Sa crise d'angoisse était encore récente et il était à fleur de peau. Si seulement tout avait pu bien se passer, il ne serait pas encore en train de paniquer. Il serra le poing, plantant ses ongles dans sa paume pour tenter de garder pied avec la réalité. Il devait à tout prix raisonner son frère. Il ne pouvait pas risquer de tout perdre. 

— Pourquoi tu dis ça, souffla-t-il faiblement, tu ne le connais pas.
— Parce que si tu étais pas amoureux d'un monsieur tu serais pas parti de la maison ! Et tu voudrais pas encore partir !

Trop. C'était les mots de trop. Ses parents n'avaient-ils donc eu aucun scrupules à lui mentir ? Ils lui gâchaient la vie, tout le temps, quoiqu'il ait et quoiqu'il fasse. Il serra le poing plus fort, jusqu'à ce que ses jointures soient blanches. Il tenta de retenir la haine qui montait en lui, mais c'était trop. Il n'en pouvait plus. Il fallait que Nicolas sache. Qu'il arrête de ne voir qu'à travers les mensonges de ses parents. Et tant pis pour ses promesses de le préserver, il fallait. Il fit taper son poing sur la table, sans le desserrer, et cria :

— Je suis parti parce que nos parents étaient atroces, je suis parti parce que papa et maman me faisaient vivre un enfer ! Tu es trop jeune pour comprendre ça, Nicolas, et je ne veux pas te le raconter, mais papa et maman étaient des monstres ! Mes pires cauchemars ! Je suis parti pour être heureux ! 

Nicolas sursauta en entendant son frère crier, ses grands yeux bleus le fixant avec inquiétude. C'était la première fois qu'il voyait cette lueur aussi furieuse dans les yeux de Alexei. Et aussi la première fois qu'il l'entendait parler de leur parent, même s'il ne comprenait pas pourquoi il les traitait de monstre. 

— Maintenant, va dans ta chambre. Je t'appellerai pour manger. 

Le garçon se leva de sa chaise avec une moue qui fit grimacer Alexei. C'était la même que sa mère lui adressait quand il la décevait. Il le regarda partir dans sa chambre et soupira longuement, dépliant enfin ses doigts avec quelques difficultés. 
Quatre marques rouges étaient gravées sur sa paume, semblant le narguer. Elles lui disaient qu'il n'avait pas su garder son calme, elles lui disaient à quel point il avait échoué. Des gouttes d'eau vinrent s'écraser dessus, sans pour autant les effacer. Rien ne se passait comme prévu. Rien. Nicolas détestait Christian, il ne pouvait pas vivre dans cette maison et son mari ne supportait pas de le voir ainsi. 
Tout s'écroulait à nouveau et il ne savait plus à quoi s'accrocher.

Et de l'autre côté de la porte de la cuisine, Christian se mordait la main pour ne pas crier, pour ne pas hurler. Parce qu'un enfant venait de l'exclure de sa famille.