À perte de vue

Chapitre 3

Pdv Clarke

Il y a plus d'un mois que je n'ai pas revu Sixtine. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Jamais je n'étais autant sortie de chez moi depuis mon accident et de ne pas réussir à la croiser me frustre plus que de raison. J'en suis venue à conclure qu'elle a dû décaler ses heures de promenades voire même changer de secteur et cette constatation me brise le cœur... Je me sens en manque. Sans son rire mélodieux, son parfum de vanille si doux et sans son chien au caractère bien trempé, ma vie semble avoir perdu de son sens. Je ne la connais certes pas beaucoup, mais la manière dont je tiens à elle se ressent d'une façon que je ne saurais pas expliquer. Pourtant, la façon dont elle m'a lâché ce jour-là restera pour longtemps dans ma mémoire.

Je me souviens avoir quitté cette estrade les larmes aux yeux après avoir livré ma vie à ses adolescents et en répondant à leur question. Cette torture avait durée plus d'une heure et, bien que je sois contente de les intéresser, j'avais aussi l'impression qu'ils prenaient un malin plaisir à me faire mal. Une fois tout le monde parti, j'ai attendu au pied de cette maudite estrade pour que sa présence rassurante vienne calmer mes nerfs à vif. J'espérais que ces bras m'entourent comme l'autre jour à la plage et que sa voix vienne dissiper le brouillard présent dans mon esprit. Au lieu de cela, je n'ai eu le droit qu'à un simple professeur un peu bougon, m'informant durement qu'elle était partie au milieu de mon intervention. Je l'entendais me raconter à quel point elle était toujours la même, combien elle était aussi nulle et peu sûre d'elle, me racontant comment il aimait aligner les 0 sur ses copies pour le simple plaisir de la voir s'effondrer en larmes. Mais pour lui ce n'était pas vraiment du sadisme puisqu'il l'aidait à se blinder pour l'avenir.

Ne supportant plus de l'entendre me raconter n'importe quoi sur ma nouvelle amie, je récupérais la laisse de Clarky et me précipite vers la sortie, comptant sur lui pour m'éviter une mauvaise rencontre. Dans ma précipitation, je tentais de remettre mes lunettes de soleil en baissant la tête mais c'était sans compter sur ma chance.

"Clarke Mathieu ! Quel plaisir de vous revoir !"

Je serre les dents et relève la tête pour faire face à cette voix. Madame Martinez, ma professeur d'espagnol durant une grande partie de mon lycée mais aussi de mon BTS. C'est une gentille femme qui m'avait vu évoluer au fil des ans, passant de l'adolescente rebelle de seconde à la femme fière et prête à tout de fin de BTS. C'est une dame qui sait mettre à l'aise ses élèves et qui n'a jamais hésité à nous rentrer dedans quand nous en avions besoin. Je me souviens lui avoir envoyé une lettre du front l'année qui a suivi mon départ. Je voulais la remercier et lui montrer que j'avais enfin trouvé ma place. 

"Bonjour madame Martinez...

-Madame ?! Enfin voyons Clarke, il y a quelques temps maintenant que tu ne dors plus sur ma table de cours. Je préférerais que tu m'appelles Anna si ça ne te dérange pas."

Anna... Avec les autres élèves de ma classe, nous avons longtemps cherché à connaître son prénom, tentant de nombreuses techniques qui ont toutes lamentablement échouées. Des années après, la réponse me vient enfin.

"On peut maintenant dire que vous avez perdu. Nous vous l'avions promis il y a plus de 5 ans que nous finirions par trouver votre prénom..."

Je souris fièrement et celui-ci s'agrandit lorsque je l'entends s'exclamer. Oui, je crois que je tiens ma première vengeance sur la vie. Je fais face à des personnes de mon passé sans trop de mal et mon cœur s'allège.