À perte de vue

Chapitre 17

Pdv Clarke

Je viens à l'instant de fermer la porte sur Sixtine qu'un sentiment de mal-être s'empare de moi. Quelque chose de profond, qui me retourne l'estomac, qui m'empêche même de respirer. Je me laisse alors glisser contre la porte, tentant de faire le tri dans toutes ces pensées qui se bousculent soudainement dans mon esprit.

Tout allait pourtant si bien. La journée avait été parfaite et j'avais adoré l'embrasser sous cette pleine lune, alors que nous étions totalement seules sur la plage, les vagues nous léchant les mollets. Je me suis sentie si bien, la sensation d'être enfin à ma place, pour la première fois de ma vie.

Mais peut-être est-ce ça le fond du problème.. Je l'ai embrassé et, aussitôt, tout mon passé m'est revenu en pleine tête, comme un boomerang qu'on envoie si loin qu'on en oublie presque qu'il finit toujours par revenir...

5 ans plus tôt...

"Mesdames et messieurs, c'est le dernier tour avant que nous ne fermions pour aujourd'hui !"

Dans le haut-parleur des auto-tamponneuses, le forain fait sa dernière annonce avant que nous ne soyons forcés de quitter les lieux. Assise dans une voiture avec Mathurin, nous saluons Tiffène sur le bord qui, dans ses bras, serre la grosse peluche Pluto gagnée par mon copain il y a quelques instants. Le reste du groupe appuie sur les pédales aussitôt que le courant revient, indiquant le début du tour. 

Aussitôt, Mathurin fait partir la voiture et nous commençons à rire ensemble, notre petit groupe de dix-sept si infernal. Les bolides s'entrechoquent les uns dans les autres, les cris des uns et des autres se mêlent dans une ambiance remarquable. Quand tout s'arrête, nous gardons notre bonne humeur en nous dirigeant vers la plage. L'un des gars sort alors de son sac deux bouteilles de vodka ainsi que des paquets de chips. Il est accueilli comme un dieu et nous nous essayons sur des morceaux de bois flottés, tous en tas désordonné, mais faisant face au même océan.

Il s'agit de notre dernière soirée ensemble. À partir de la semaine prochaine, les clés d'appartement seront rendus aux propriétaires, les voitures partiront vers de nouvelles villes pour de nouvelles aventures tandis que certains partiront vers le monde du travail.

C'est moi qui suis à l'origine de cette soirée. À partir de la semaine prochaine, je prends le chemin de la base à la sortie de la ville pour un entrainement afin d'atteindre mon rêve et d'entrer dans l'armée. Tous autour de moi connaissent ma passion mais, je sais déjà qu'aucun ne sera réellement prêt à entendre mon départ. Nous sommes bien plus que des amis, presque une famille. Et mon départ, celui d'un membre à part entière, causera une plaie béante.  

"Alors les guys ?! Ça donne quoi l'an pro ?"

Et Jules vient de lancer le sujet le plus épineux. Chacun notre tour, nous annonçons nos projets d'avenir. Mathurin est l'avant dernier et c'est moi qui conclurai le spectacle, étant assise juste à côté de notre ami. Il est vrai qu'à cet instant, blotti dans les bras de mon petit ami, je serais prête à changer d'avis pour ne jamais perdre cette sensation de bonheur.

"Et toi Clarke ?"

Fin du rêve. Moi, Clarke Mathieu, je vais ruiner cette si douce soirée en quelques secondes, d'un battement de cil plus rapide que les avions de cette armée que j'admire.

"Je rejoins l'armée la semaine prochaine pour mon entraînement."

Leurs sourires disparaissent de leurs si beaux visages que j'affectionne tant. Je serais prête à pleurer de les voir sous un tel choc. Avec mon tempérament, cela aurait été n'importe qui d'autre, je lui aurait déjà sauté à la gorge pour le faire changer d'avis.