À perte de vue

Chapitre 28

Pdv Sixtine

"La jeune femme courait dans les bois, fuyant les hommes qui la poursuivaient. Elle ne faisait guère attention aux branches qui fouettaient son visage ou même aux racines qui ne manquaient pas de la faire tomber. Son souffle s'enfuyait peu à peu et elle se demandait comment elle pourrait réussir à garder son avance alors même qu'un point de côté l'assaillait. Un coup d'œil derrière elle ne parvenait pas à la rassurer. Tapie dans l'ombre, la bête la fixait de ses grands yeux jaunes.

-On sait tous que ce sera Liam, son grand amour mais que cet imbécile n'a jamais voulu lui avouer que c'était un loup-garou. Dis-moi Sixt', c'est vraiment ça ton livre préféré ?"

Je ris face à la moue dégoutée de la petite brune allongée sur mes cuisses. Je tiens entre mes mains le livre que ma mère m'avait lu la première fois que nous avions réussi à nous voir. Cela a duré la journée puis, le soleil déclinant et mon père venant de rentrer, nous avions dû nous séparer. Quand j'ai voulu la recontacter une semaine plus tard, son numéro n'était plus le même et quand je me suis rendue dans son hôtel, elle était déjà partie, sûrement pour rejoindre son nouveau mari fortuné et ses enfants. Je n'ai plus jamais entendu parler d'elle et pourtant, malgré la douleur qu'elle a rouvert en s'enfuyant à nouveau, je ne peux m'empêcher d'aimer cette histoire. 

"Bien qu'elle soit prévisible et vraiment nulle, elle représente la seule chose que j'ai jamais partagé avec ma mère et...

-Son corps."

Je reste totalement interdite face à l'interruption de Clarke, ne comprenant pas vraiment ce qu'elle veut me dire.

"Il me semble que, comme tout enfant, tu as grandi dans son utérus alors, pendant 9 longs et douloureux mois, vous avez dû partager bien plus qu'un simple livre."

Une mine dégoutée s'affiche sur son visage à cette pensée et je conclus donc sans difficulté que l'idée de la grossesse ne la fait pas réellement rêver. 

"Tu n'as pas tout à fait tort alors nous dirons et ce livre est la seule chose dont je me souviens d'elle. Cela te conviendrait mieux ?

-Parfait."

Elle se rallonge alors gentiment tandis que je reprends la lecture du livre. Mon amie avait effectivement raison en disant que Liam serait le grand amour de Callie car c'est exactement ce qui se passe une vingtaine de pages suivantes. Le temps défile doucement, je caresse distraitement ses cheveux tandis que ces mains glissent dans le poil doré de son chien. Nous sommes là, toutes deux apaisées à profiter du temps que nous pouvons passer ensemble.

Quand je termine de lire le dernier mot, nous restons un moment dans le silence, ne voulant surtout pas briser cet instant quelque peu hors du temps. Un coup d'œil à la pendule m'indique que l'heure du déjeuner est déjà bien avancée et qu'il va falloir nous lever.

"Je reste sur ce que je disais... Ta mère a vraiment des goûts discutables. En espérant que tu ne tiennes pas d'elle." 

Je souris face à sa remarque. C'est la première fois que j'arrive à rire du manque de ma mère et je suis heureuse que ce soit avec elle. Jamais avant je n'avais pu prendre avec légèreté le fait d'avoir un manque dans ma vie. À chaque fois qu'on me demandait qui j'étais, je sentais l'angoisse m'étouffer. Lorsque je devais compléter un document administratif, mon cœur se serrait de n'avoir rien à noter, bien que je sache d'elle son nom et son prénom.

"Pour déjeuner, je te propose des pâtes, ça te va ?"

Je sors de ma transe en la sentant se lever pour rejoindre la cuisine. Le sujet de ma mère est quelque chose auquel je pense rarement, préférant vivre sans y penser et pourtant, avec Clarke, il fait partie des premiers que j'aborde.