Chapitre 4

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Pdv Sixtine

"Clarke ! Clarke, je t'en prie !"

Il ne me reste que le temps de voir ses cheveux bruns disparaître au détour d'un rayon pour savoir qu'il me serait difficile de la retrouver. Je maudis cette chevelure que je passe mon temps à voir s'évanouir à l'horizon mais je me maudis encore plus de ne jamais réussir à la retenir auprès de moi.

Je suis prête à lui courir après malgré tout quand une main agrippe mon bras, m'empêchant d'avancer. Il ne me restait alors que ma mémoire pour me rappeler douloureusement cette silhouette lointaine.

"Laisse-la fuir. Elle a si mal depuis des mois que je ne supporte plus la douleur qu'elle porte..."

Je me retourne pour faire face à une femme d'une cinquantaine d'année, peut-être plus, ressemblant à celle qui hante mes pensées. Ses cheveux sont aussi bruns, bien que parcourus de nombreuses mèches blanches. La forme de son visage est identique bien que je ne reconnaisse pas son nez. La couleur de ses yeux est d'un bleu profond qui, j'en suis sûre, devait leur être commun avant ce drame.

"Je me sens si impuissante que je sais ce que tu ressens. Mais je t'en supplie ne rajoute pas de poids sur ses épaules en lui imposant ton fardeau."

Je sens mon cœur se serrer quand je vois ses yeux bleus se teindre de tristesse. Jamais les siens ne pourront exprimer tant de souffrance, eux qui sont si vides. Pourtant, je sais que si elle le pouvait, ils seraient semblables à ceux que j'ai en face de moi.

"Ce n'est pas ce que je souhaite. Jamais je ne voudrais lui imposer cette douleur que je porte. Mais je ne peux m'empêcher de vouloir être près d'elle. Il s'agit là d'un instinct plus fort que moi."

Les larmes me montent aux yeux à mesure que mon esprit imagine Clarke malheureuse. Je vois déjà les larmes suivre leur course effrénée sur ses joues parsemées de taches de rousseur, semblables au ciel étoilé. Je la vois replier sur elle-même pour se protéger des agressions alentours, aussi fragile qu'un nourrisson dans son berceau.

Mon esprit n'a pas le temps de divaguer plus loin qu'une voix m'interpelle plus loin. Je me retourne pour voir une vieille dame demander de l'aide. Je soupire d'avance en sachant qu'elle me demandera d'attraper un pot de conserve sur l'étagère supérieure et inaccessible pour elle. À moins que ce ne soit pour lui donner le prix qu'elle est incapable de lire ou qui a disparu. J'aimerais tellement quitter ce maudit magasin et m'épanouir ailleurs mais les factures qui s'empilent sur mon bureau sont bien trop cruelles pour me laisser le choix.

"Je vois que l'on t'attend. J'ai confiance en toi pour prendre les bonnes décisions. Je vais me dépêcher de la retrouver. En espérant te revoir dans de meilleures conditions."

Elle s'en va, me laissant alors seule au milieu de ces rayons, seule avec la torture que représente ce rejet. Automatiquement, tel un robot programmé à être un esclave, je donne la cassoulet en boîte à la vieille dame, repose un chariot vide laissé au milieu d'un rayon et rejoins le bureau d'entrée où je passerais ma journée à gérer les quelques SAV tout en répondant aux questions des clients.

"Excusez-moi. Mademoiselle. Mademoiselle !"

Perdue dans mes pensées, je n'ai pas vu l'homme s'approcher de moi. De carrure imposante, je ne serais pas surprise d'apprendre qu'il pratique un sport tel que le rugby ou le football américain. Ses cheveux courts me rappellent sans mal les coiffures militaires et ses yeux bleus perçants qui me fixent me déstabilisent. Il semble si sûr de lui et en même temps si gêné que je trouve cela comique.

Enfin peut-être pas tant que ça. À ne pas répondre aux clients, mon supérieur va finir par me chasser d'ici et il s'agit là d'un problème que j'aimerais éviter plus que tout.

À perte de vueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant