Chapitre 6

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PDV Clarke

J'avoue prendre un malin plaisir à savoir que Sixtine est soudainement très gênée. Peut-être est-ce un moyen de me venger du fait que, quelques minutes avant, elle s'était ajoutée sans raison à mes activités ultra-secrète. Beaucoup avait insisté pour m'accompagner, que ce soit ma mère ou encore sa sœur. On ne peut pas dire que les amis se bousculent dans ma vie alors je ne parle même pas du fait que quelqu'un puisse avoir envie de m'accompagner. Et puis cet endroit est un peu mon journal intime. Tout ce que je peux dire dans cette pièce n'en sors heureusement jamais. 

Mais si la venue de Sixtine changeait tout ? Si elle s'amusait à raconter ce que je peux dire ici aux quelques personnes de mon entourage ? A ma mère ? Il s'agirait évidemment d'un drame pour moi, cette fille aveugle qui a tant de mal à me confier à qui que ce soit ? Ce que je dis ici quant à mon ressenti ou mes idées, beaucoup les partagent ou les ont partagées. Mais si Sixtine n'interprétait pas correctement ces réunions et qu'elle venait tout critiquer. Elle perdrait aussi et sûrement ces amis de réunion.

"Je vois que Clarke nous a amené quelqu'un. Tu nous la présente."

Archibald, le maître de cérémonie comme j'ai toujours aimé l'appeler, me sort violemment de ma rêverie. Avec son air si sûr de lui, je n'ai jamais réussi à m'entendre réellement avec lui. D'ailleurs, il m'a même fait fuir durant mes premières séances et si Ellie et Johnny ne m'avaient pas convaincu, jamais je ne serais revenue. Désormais, je le supporte autant que je peux et viens ici seulement pour échanger avec ces connaissances que je pourrais presque qualifier d'amis. Parmi eux, j'ai enfin le sentiment de ne pas être la seule.

"Oh ! Euh... Je crois qu'elle pourrait se présenter elle-même."

En me sortant de ma réflexion, Archibald m'a aussitôt fait constater que je ne connaissais pas réellement Sixtine. Comment la présenter autrement que la fille qui m'est rentrée dedans la première fois et qui semble désormais me suivre comme une ombre. Je pourrais raconter à quel point le destin semble me pousser vers elle et combien mon incompréhension est grande face à ce que je vis et surtout face à elle. Mais je doute que mes réflexions d'adolescente n'intéressent tous ces aveugles qui m'entourent. Peut-être aborderais-je un jour avec eux cette relation mais en tout cas, pas si elle est là.

"Par où commencer ? Alors voilà je m'appelle Sixtine j'ai 23 ans et j'ai toujours vécu ici. Je ne suis pas toujours un exemple de positivisme mais je m'en efforce. Je partage depuis un an ma vie avec Ten, un berger australien tout fou. Que dire d'autres ?"

23 ans... Et moi qui vais sur  mes 26... Notre différence d'âge n'est pas si grande et je me demande soudainement comment j'ai pu ne pas la remarquer au lycée. Certes elle était sûrement en seconde quand je faisais ma première année mais malgré tout, je me dis que je l'aurais remarqué. Je ne doute pas qu'elle doit être magnifique avec une voix et une douceur pareille.

"Dites-nous au moins comment vous vous êtes rencontrées. 

-Rien de bien croustillant, je l'ai seulement bousculée à la plage et elle a perdu ses lunettes. Lunettes qu'elle s'amuse beaucoup a égarer car je lui ai déjà rapporté deux fois."

Je souris en repensant à ces rencontres mais aussi à celles qu'il y a eu entre les deux. Je me souviens de la colère qui m'a envahi le jour où j'ai fini complètement mouillée suite à notre bousculade. Mais je me rappelle aussi de la fois où nous étions sereines sur la plage, laissant nos chiens s'amuser comme des fous. Je me rappelle du jour où elle m'a invité à prendre un café, que j'attends encore aujourd'hui, ce fameux jour où j'ai dû me rendre dans mon ancien lycée, affrontant mon passé mais aussi la lâcheté dont elle a fait preuve. Je me remémore sans peine la fois où nous nous sommes vus au supermarché, cette fameuse seconde fois où j'ai perdu mes lunettes. C'est sans peine que je parviens à ressentir à nouveau l'angoisse qui m'a assaillie ce jour-là. Ce qui reste flou en revanche, c'est notre rencontre inattendue sur le pas de ma porte, ce matin même alors que je venais de promener Clarky. Il ne s'agit que d'un trou noir entre l'instant où elle m'a dit me rentre mes lunettes et celui où je me suis réveillée sur mon canapé, son corps serré contre le mien.

À perte de vueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant