Chapitre 5

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Un bruit sourd s'élève de l'arène, j'entre discrètement, la tension est palpable dans la foule qui contemple les joutes entre les meilleurs guerriers du campement. Il y a un tableau des ordres de passage affiché au milieu de l'arène, des grands écrans plats. Quoi ? Ce n'est pas parce que l'on vit dans un domaine exclu du monde qu'on ne peut pas posséder la technologie… Armen passe après celui-ci. Je connais par cœur cet endroit grâce aux cours d'escrime que je pratique tous les mardis et vendredis. L'itinéraire pour se rendre à la salle où attendent les combattants m'est bien connu.
J'avance à pas rapides jusqu'au banc où est assis Armen. Il a l'air plus serein que ses compagnons mais ses lèvres pincées me révèlent bien des choses, l'incertitude...
 
Je m'assois près de lui. À l'aise comme je l'étais auparavant avec lui. Avant que je n'entre dans ce domaine. Mais cette histoire est compliquée. Cela fait longtemps que je la cache au fond de moi, et je sens que le temps a un peu pansé mes blessures. Car avant, même y penser m'était insupportable.
 
Je suis donc près de lui, je le regarde dans les yeux. Ou plutôt le caresse des yeux. Son visage m'avait manqué, je ne l'avais pas regardé avec autant d'application et si près depuis... Je cale ma voix sur un ton que je veux rassurant.
 
- « Ma mère me disait, que si l'on ne tremblait pas, si l'on ne stressait pas avant de monter sur scène pour jouer de la musique, l’on n’était pas musicien. C'est pareil pour les acteurs de théâtre. Et pareil pour toi. Si tu n'es pas sûr de toi, tu ne ferais pas autant attention à tes gestes, à ce qui t'entoure. L'incertitude peut être bonne ou mauvaise selon ce que tu en fais. Transforme la en concentration, et ne la laisse pas brouiller ton esprit. » déclarai-je.
 
La cloche sonne, c'est l'heure pour Armen d'affronter son adversaire.
 
Il est étonné. Je me souviens que j'ai une mère, et alors. Pense-t-il qu'il n'a jamais eu de père ? Que sa déesse de mère l'a engendrée toute seule ? Toute cette histoire est tellement absurde...
 
Il ouvre sa bouche pour parler, mais je le pousse vers la porte qui mène au centre de l'arène, on a plus le temps de discuter. Il se retourne quand même pour m'adresser un sourire de remerciement.
 
Quelque part, au fond de mon être un petit espoir resurgit.
 
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Je m'y revois encore, dans cette grande maison au milieu des bois. Le lieu de mon enfance agréable remplie de l'amour de mes parents, de mes frères. De mes grands frères, car dix ans d'écart, ce n'est pas rien. J'aurais du me douter que quelque chose d'anormal se tramait, mes années d'écart, mes cheveux blonds parmi les leurs, tous châtains foncés.
Un jour, une longue voiture aux vitres teintées est venue me chercher. Trois personnes en tenues noires et trois autres personnes en tuniques blanches sont descendues. En les voyant ma mère m'a ordonné d'aller dans ma chambres, sa voix était pressante, stressée comme jamais je ne l'avais entendue. J'ai donc couru jusqu'à ma chambre, quelques minutes plus tard, deux personnes en noirs m'ont emporté de force. Je me suis débattue jusqu'à ce qu'une tunique blanche se glisse derrière moi, et me pique le cou avec sa seringue. Ma tête dodelinait, mais mes paupières étaient assez entrouvertes pour apercevoir ma famille assoupie sur le canapé ou étendue à terre. Leurs poitrines se soulevaient par rythme régulier. Mais ils étaient inconscients.

Je me suis réveillée quelques jours après, dans une salle toute blanche, autour de moi il y avait six autres personnes toutes endormies. Des pas se sont rapprochés, la poignée de la porte s'inclinait, des personnes sont rentrées. Mais je m'étais déjà rallongée, pour imiter les autres dormeurs. Ces personnes ont parlé tandis que des frissons me parcouraient le dos. Elles racontaient des choses horribles comme :
 
« 5 nouvelles recrues, c'est un bon mois. »
« Dans combien de temps doivent-ils se réveiller ? Vous m'aviez pourtant dit moins de trois jours ! »
« C'est vrai, ils ne devraient pas tarder, mais la dose du sérum d’oubli était très forte. »
« Comme celle des familles j'imagine, à leur réveil ils penseront qu'ils étaient malades. Et plus aucun souvenir de ces gosses là. Quelle magnifique invention ! »
 
Le sérum d'oubli, il a effacé la mémoire de toutes les personnes du domaine. Sauf moi. Des fois, je me dis que cela aurait été préférable, de ne pas avoir tous ses souvenirs douloureux de ma vie antérieure.
 
Durant les deux jours suivant, les recrues et moi suivons des longues séances télévisés, où des personnes nous racontent qu'entrer dans ce domaine est la meilleure chose qui nous soit arrivée, que ce lieu nous protège du mal de l'extérieur qu'il est impératif pour notre survie de rester ici... Plein d'idiotie, que je suis la seule à contredire. Les six autres personnes sont dans la vague et écoutent sans broncher. Il faut que je copie leurs regards vitreux. S'ils découvrent que je résiste au produit, que feront-ils de moi ? Un goût amer de bile m’agresse la bouche, il ne vaut mieux pas que j'y pense.

Arcalon, une légende est née [Pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant