Chapitre 1

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La prairie d'entraînement du domaine d'Arcalon est bondée de guerriers demi-dieux. Ils sont, pour la plupart d'entre-eux, issus de Mars ou de Minerve. Je les regarde, se battre ardemment.

Normalement, les guerriers sont limités à l'arène, mais nous sommes à la période de qualification pour le tournoi d'été donc le nombre de combats est trop élevé pour notre arène.

Mon regard porte sur un combattant spécial, Armen. Même encerclé d'ennemis, il gagne tous ses combats. Puis, je reporte mon attention sur la silhouette de Millena. Elle est dans le champ de tir. Ses bras s'activent par gestes fluides, sa flèche est décochée. Bien sûr, elle arrive au centre de la cible, comme chaque fois. Étant une fille de Diane, il va de soi qu'elle excelle au tir à l'arc.

Illidel se tient à côté d'elle, bien qu'il ne prenne pas part à ce type d'activité. Il est impressionné par sa performance et ne manque pas de la féliciter. Je souris lorsque leur amour arrive jusqu'à la branche où je suis installée. Je prédis qu'ils sortiront ensemble tôt ou tard. Je pose ma tête contre le tronc de mon perchoir, à l'ombre du soleil au zénith, et contemple encore les jeux d'épée.

J'aimerais pouvoir me battre avec les autres, mais je n'ai que des connaissances basiques, celles que j'ai apprises aux cours obligatoires d'autodéfense. Je n'ai pas de don en l'art de l'épée.

Je suis juste une sorte d'empathe, pas une brave guerrière. Quoique, si l'on considère l'escrime comme un art... mon père maîtrise tous les arts non ? Peut-être que mon sang possède des restes de cette compétence.

Sur cette mini-révélation, je rentre en action dans la prairie et engage le combat avec diverses personnes me tombant sous la main. Ma force n'est pas remarquable mais je persiste. Et mon don de divination, hérité de mon père, ce cher Apollon, me sert à prévoir les actions de mes adversaires. J'avoue que j'esquive plus que je ne me bas. Puis vient le moment où mes coups me mènent à Armen. Il me dévisage, surpris. Je dois être la première fille d'Apollon qu'il voit se battre. Effectivement, mes autres confrères ne sont intéressés que par les domaines musicaux et médicaux. J'utilise l'effet de surprise pour lui porter le premier coup, mais il se reprend rapidement. Se heurte à moi un problème, quand il se bat il ne pense pas. Il agit d'instinct, guidé sûrement par sa mère, la déesse de la guerre juste, Minerve. Ou Athéna si vous êtes plus à l'aise avec le nom grec. Néanmoins je l'ai assez observé pour connaître ses bottes secrètes et ses tactiques. Je résiste longtemps, trop longtemps. Je m'épuise. Armen a plus de connaissances et d'entraînement que moi, il finit donc par prendre le dessus, me plaçant sa lame élimée sous la gorge.

- « Pas mal. Je ne t'ai jamais vu par ici. Tu t'entraînes où ? » me demande-t-il.

Je ne sais que répondre. Dire la vérité ? Non, je passerai pour une inconsciente. Et il ne me croirait pas si je lui disais que c'était mon premier vrai combat. De toute façon ma gorge est trop sèche pour émettre un son. Il m'impressionne avec sa haute taille, sa large carrure, ses cheveux bruns et ses yeux vert-marrons qui m'auscultent bizarrement. C'est vrai, j'ai oublié de répondre. Une foule s'est formée autour de nous, avide de savoir qui a tenu tête au grand guerrier.

Je me retourne et active mes jambes, heureuse qu'elles ne m'aient pas lâchées. Je l'entends crier au loin « Attends ! ». Mais ma course folle continue. Le rouge de la honte me monte aux joues. Qu'est-ce-qu'il m'a pris ? Je ne suis pas faite pour me battre ! Mais jouer de la musique, chanter, soigner, comme mon père ! Non, je n'ai pas envie de lui ressembler. Il nous a lâchement oubliés, mes frères, mes sœurs et moi. Enfin, demi-frères et demi-sœurs, vu qu'il ne sait pas garder une compagne fixe.

C'est maintenant la rancœur qui me serre la gorge.

Tous les dieux abandonnent leurs enfants. Paraît-il qu'une loi de Jupiter (Zeus) interdit les dieux de rendre visite à leurs progénitures. Quelle cruauté. Que je les hais, que je la hais cette famille ! Elle imbue de sa beauté, de son intelligence. Encore que les fils et filles d'Aphrodite ne sont pas mieux lotis. Cette famille n'a que l'amour et la beauté. Pas de guérison, pas de musique et pas de divination. Je suis d'ailleurs la seule à posséder ce don de vision futur, bien qu'elle soit assez limitée, je vous l'accorde.

Trop plongée dans mes pensées, je n'ai pas fait attention où j'allais. Mes pieds m'ont guidée, non chez moi mais chez Millena. C'est elle qui me rend ce domaine de dingues supportable. Elle est gentille et me comprend. Hélas, elle est bien la seule. Dire que toutes mes autres « sœurs » ont des milliers de « copines ». Au moins, je mène une vraie amitié.

Cette famille ne me ressemble en rien, sauf peut-être physiquement. Rien de plus banal : Blonde aux yeux bleus. Belle, car il est bien connu que notre père est le dieu de la beauté.

Millena m'a vu au-delà des apparences. Elle a remarqué ma solitude et elle est venue la combler. Avec elle, j'ai réappris à sourire et à rire.

Je m'adosse à un arbre, près de son logis.

Millena arrive peu après moi.
Elle marche distraitement, d'un pas incertain. Encore à se demander si Illidel, le beau fils d'Hermès, pourrait par le plus grand des hasards, ressentir en quelconque sentiment à son égard. Elle pourrait me le demander, je lui répondrai que oui. Il l'admire depuis si longtemps !
Mais elle ne veut pas savoir le futur. Elle trouve que c'est injuste par rapport aux autres... Et moi alors ? Elle pense que j'aime savoir qui va se faire mal, se blesser ou encore se disputer ?
Si encore je pourrais deviner le prochain devoir de grammaire latine... Mais non, je suis une empathe qui prévoit les sentiments des autres. Comme la satisfaction des guerriers qui ont trouvé une faille dans ma défense (que je comble aussitôt, cela dit).
Toutefois, les principaux sentiments que je capte sont amoureux.
Comme si je n'avais pas assez à faire avec mes propres sentiments...

En plus, on m'évite. On a peur de ce que je prédis. Les personnes pensent que plus elles se tiennent loin de moi, moins je vois de visions les concernant. Dommage pour eux, ça ne change rien. C'est mon instinct qui me conduit dans le futur. Un instinct sur développé, j'en conviens, guidé par Apollon, dieu de la divination.

J'ai donc appris à cacher mon don, je n'en parle plus et maintenant personne ne s'en souvient.

« Quoi, Éliane ? Un don ? Non, il doit y avoir erreur. Cette fille est une incapable. »

Seule Millena le sait. Elle s'approche de moi, ses longs cheveux châtains flottent dans la brise. Je ne comprends pas les personnes qui aiment les yeux bleus. Les yeux froids, alors que les siens sont d'un vert-marron chaleureux, qui vous rappellent les bon coins de forêt.

L'emplacement du logement ainsi que sa structure sont décidés par l'Administration, selon nos personnalités. Par exemple, la maison de Millena est perchée dans un arbre, loin du bruit.
Celle de Célestine est une villa proche de la place centrale avec thermes privés, statues et colonnes en marbre. La mienne est banale, mais contre toute attente, elle est très agréable, et possède un accès sur un joli parc.

Au premier abord, je l'avais trouvée grande pour une personne comme moi. Mais le lierre qui grimpe sur ses pierres blanches, ainsi que ses tuiles en ardoises bleues, m'ont tout de suite séduite.

- « Hey ! Je t'ai vu te battre avec Armen. Très courageux de ta part de te mesurer à lui sachant que... euh... » bégaie-t-elle soudainement.

- « Oui, sachant mon manque de pratique guerrière. » la coupai-je gentiment

Un air triste assombri mon visage. Elle comprend et ne dit plus rien. Juste un sourire étire son joli visage. Millena sait que je veux me distinguer de ma famille. Même si elle, elle voudrait des frères, des sœurs... Car pour l'instant Millena est la seule descendante de Diane. Diane, au contraire de son frère Apollon, n'a pas une vie amoureuse mouvementée...

Alors que moi, je me passerais bien de ces coureurs de jupons et de ces snobeuses qui, attention, recevront à coup sûr leur diplôme de médecine. J'ai tant de copies humaines, alors qu'elle... Elle est unique ! Elle me prend la main, me tirant de mes pensées.

- « Allez, viens ! On va être en retard au buffet ! » s'exclame-t-elle.

Je la suis d'un pas hésitant. J'appréhende la rencontre avec les autres après l'étrange événement de l'entraînement. Je me concentre spirituellement, espérant trouver une quelconque vision utile, mais rien, nada, que pouic ! Comme le dit si bien Illidel.
Nous débarquons sur une terrasse aménagée pour le dîner. Des bancs et des tables en bois sont disposés en rangée. Au milieu du bruissement continu du flot de personne, j'entends une voix, cette voix. Et rien qu'à l'entendre mon cœur se serre.

Arcalon, une légende est née [Pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant