Chapitre 28

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Je crois que j'ai perdu connaissance quelques minutes. Et bien sûr, personne ne m'a remarquée dans ces cales trop éloignées. J'aurais dû rester avec Alças, ça ne l'aurait pas gêné de me voir déshabillée. Avec une magnifique bosse sur le coin du front, je me rassois et m'adosse contre le mur de bois. Heureusement que ma frange cache cette horreur.

Mais une désagréable découverte m'attise d'un coup les nerfs : quelqu'un m'a pris mon sac. Tous mes vêtements s'y trouvent ! Et pas question de me balader en Terres Désertique dans mon uniforme de soubrette !

Qui est le malotru qui a fait ça ? Il n'est pas bien malin car ce ne peut être une autre personne qu'un membre de l'équipage. Alors là, mon coco... Dès que je te trouve, je t'arrache les ongles et te rase les cheveux.

Profiter ainsi d'une pauvre femme qui n'a pas le pied marin... Si ce n'est pas lamentable !

Remontée contre moi-même et le voleur inconnu, je regagne ma cabine où j'explique ma mésaventure à Alças.

— C'est bien la première fois qu'un tel événement se produit, assure-t-il surpris, tu n'auras qu'a enfiler une de mes tenues, je ne suis pas vraiment plus large que toi.

Quelle horreur ! Mettre les fripes d'un homme ! Et ma gracieuse silhouette ?

— Arrête de bougonner, m'enjoint Alças, et viens sur le pont avec moi. Nous allons boire un bon chocolat chaud.

— Je vomirai tout avec le roulis...

— Tu n'as plus d'excuse pour les nausées, Püpe.

— Ah ça, c'est bon.

Je me déshabille et attrape ma nouvelle tenue. Elle a au moins le mérite d'être chaude. Mais je me sens compressée dedans. On ne peut pas dire que les trous dans le dos soient vraiment utiles ; je n'ai pas d'ailes à sortir, moi.

Sans cesser de râler, j'emboite le pas à la fée et me retrouve à l'air libre. Un vent violent me décoiffe aussitôt et je suis forcée d'enfoncer le bonnet jusqu'aux yeux pour ne pas le perdre.

— Dis-donc, Alças, il est mignon ton apprenti, raillent les marins.

Très drôle. Mais comme mon ami perçoit mon agacement, il s'empresse de répondre :

— Voici Püpe, ma collègue. Elle m'accompagnera jusqu'aux Forges de Baarl.

— Fais gaffe à ce qu'elle ne se fasse pas égorger par un nain, glousse un naïade.

Mes yeux se plissent d'hostilité. Tu ferais bien de la fermer, toi. D'ailleurs, je parcours du regard le groupe de matelots pour discerner un potentiel suspect. Qui a bien pu voler mon sac ?

De leur côté, les elfes ne se mélangent pas, comme d'habitude. Ils n'interfèrent que pour donner des ordres ou pour s'adresser à mon compagnon.

Je décide d'ailleurs de le laisser pour me joindre au groupe de gnomes. La plupart sont très large d'épaules avec des hardes peu reluisantes et des pieds à la corne épaisse. Ils m'accueillent en souriant et me posent quelques questions auxquelles je réponds vaguement.

— Tu sais, ajoute le plus extraverti, c'est rare de croiser des femmes à bord. Ça porte malheur en général.

— Ce sont des superstitions, rétorqué-je simplement.

— Et du coup avec Alças ? demande-t-il en secouant ses boucles vertes.

— Du coup quoi ?

— Bah, t'es pas seulement son apprentie, si ?

Les autres gnomes ricanent bêtement devant mon air indigné. Seul un autre, plus en retrait, se contente de hausser les épaules dans le plus grand désintérêt.

Journal d'une Soubrette en GoguetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant