Il a fallu que je parte. J'ai pris mes affaires et d'un pas mécanique et boiteux, j'ai regagné mon logement. Un logement vide. La tête bourdonnante, j'ai gravi l'échelle avec quelques difficultés et je me suis allongée sur mon lit. J'ai retiré mes vêtements et me suis enroulée dans ma couette sans vouloir penser au lendemain. Pourvu qu'il n'arrive jamais...
Et pourtant, je me réveille, ce matin. Un matin comme les autres avec un ciel balayé par le vent. Les vagues mugissent toujours autant contre la forteresse. Je descends de la mezzanine et me prépare une collation. Je suis sérieusement en retard pour mon service...
Aussi, Méléra ne tarde-t-elle pas à frapper à la porte. Comme je ne réponds pas, elle pénètre dans la pièce, hors d'elle.
— Püpe ! C'est la moindre des choses de te présenter à l'heure pour ton travail ! Si ton second travail te prend tant de temps, je m'en vais te virer de ma maison !
— Cela n'arrivera plus, réponds-je d'une voix atone.
— Et où est Mily ? Elle devrait être dans les boudoirs depuis une heure.
— Elle est morte.
Ma maîtresse fronce les sourcils d'incompréhension. Voir sa tête interloquée me provoque un rire nerveux.
— Comment ça ?
— Ils l'ont tuée en bas.
Je me reconcentre sur le feu pour chauffer ma casserole. Un petit peu de pain me fera tenir jusqu'à la prochaine pause.
— J'arrive dans cinq minutes, assuré-je.
— Püpe, tu es sûre que ça va ?
Je lève un œil interrogateur vers Méléra. Depuis quand se mêle-t-elle de mon bien-être ?
— Non, ma cheville est foulée.
— Bon, hum... Je te laisse ta journée pour cette fois. Je vais envoyer un message au seigneur Lucasse pour lui demander des explications. Il commence sérieusement à m'agacer...
— Comme vous voudrez.
Eh bien, j'aurais plus de temps pour boire ma tisane. Je m'assois sur mon tabouret. La place d'en face reste insolemment vide.
Malgré la dispense de Méléra, j'irai travailler aujourd'hui.
Il faut bien que quelqu'un fasse le travail. Surtout que je suis seule désormais. Je traverse mon logement en m'en vais nettoyer les chambres apprêtées pour les clients.
C'est toujours aussi crade. Vieux lupanar de merde. Les gens sont dégueulasses. J'ai envie de parler essentiellement des hommes mais les femmes me débectent tout autant. Je sais quel genre de matrone on rencontre dans les bordels de gigolos, à quelques départements de là. C'est aussi pitoyable dans les deux sens.
J'ai l'impression que tout le dégoût que j'ai refoulé jusqu'ici me rattrape. Qu'est-ce que je fous là, bon sang ? Je me réveille soudainement, comme perdue au milieu d'un champ de lisier.
Je ferais bien de quitter cette île de connards au plus tôt.
Djalah et Pigelley viennent à mes devants avec un air désolé. Leur pitié me dégoûte aussi.
— Ma petite Püpe, lance Djalah en me prenant dans ses bras, nous sommes tellement désolées. Nous aimions énormément Mily.
— Vous n'auriez pas dû. Elle va vous manquer, à présent.
Elles semblent étonnées de ma réponse laconique.
— Mais toi ? demande l'astre aux cheveux cendrés avec un air moins dramatique, comment tu te sens ?
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Journal d'une Soubrette en Goguette
FantasiÉlevée par sa mère sur l'île des sirènes, Püpe est bercée depuis sa naissance par la mélodie sulfureuse d'un environnement consumériste et décadent. Bien qu'elle appartienne à la race la moins crédible de toute la Dimension, la jeune gnome refuse d...