Chapitre 18

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J'ai choisi port de Pont-Émeraude car c'est celui le plus proche des Falaises Sanglantes, la résidence principale du prince Morgal. Je n'aurais que quelques lieues à parcourir avant de m'y présenter. Malheureusement, une pluie battante s'acharne sur ma pauvre personne. D'ici quelques heures, la nuit tombera et je ne suis pas très à l'aise avec ces vastes espaces désertiques.

Sur le continent, la nature est omniprésente, c'est incroyable ! Mais le plus perturbant reste le ciel, en permanence au-dessus de ma tête. Sur l'île, la forteresse se refermait sur elle-même comme un œuf.

J'attends donc une accalmie sous le porche d'un entrepôt. Je suis interloquée par l'attitude des gens. Tout le monde semble travailler d'arrache-pied. Je suis bien loin d'un environnement oisif où le luxe se marie au plaisir.

Même si je dois avouer que l'architecture du port est magnifique. Les maîtres-maçons elfes sont très doués, on ne peut pas le nier. Ces immenses barraques fendent le ciel de leurs murs éclatants. Les royaumes elfiques sont prospères et particulièrement celui d'Elaglar Fëalocen, le paternel de ma cible.

Je soupire et décide de me mettre en route malgré le temps peu clément. Je rabats mon capuchon et trottine le long de la route dallée. D'énormes carrosses passent devant moi et m'effraient : je ne suis jamais montée dans de pareilles voitures.

Bon, clairement, je suis un peu ignare sur le monde qui m'entoure. Pourvu que mes lames ne rouillent pas dans mon sac avec cette humidité !

J'ai croisé quelques gnomes depuis mon arrivée et mes craintes se sont concrétisées : ils sont d'une servilité navrante. Impossible d'élever le débat avec eux, ils ne comprennent pas ma position de rébellion et me prennent même pour une grande folle. Ce n'est pas tout à fait faux, sur ce point...

Mais voici que les lueurs du jour disparaissent et que le froid de l'hiver s'immisce dans mes vêtements trempés. Je marche mécaniquement sur la route, espérant me diriger dans la bonne direction. L'écho de sabots me parvient aux oreilles de plus en plus fort mais je n'ai plus vraiment la force de me pousser. J'en peux plus...

Trois cavaliers me dépassent brusquement avant de freiner leur monture et revenir dans ma direction. Les hommes dans leurs vêtements sombres dégainent leurs épées et les pointent vers moi.

J'arrête brusquement de respirer. Qu'est-ce qu'ils me veulent ? Me détrousser ? Me violer et m'étriper ? Je me retourne pour distinguer d'autres cavaliers escortant un carrosse à l'allure de corbillard.

— Dis-moi, la gnome, tu t'es perdue ?

La pointe de l'épée vient se loger sous ma gorge. Je déglutis : je doute que ce soit judicieux de riposter.

— Je dois me rendre aux Falaises Sanglantes, murmuré-je d'une petite voix.

— Ah oui ? Tu veux que le prince te dépèce aussi, c'est ça ?

Je me tais.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? lance une voix derrière moi.

Je jette un œil vers le corbillard et distingue la silhouette courte d'un gnome.

— Où est le prince ? demande hargneusement le cavalier, l'épée toujours pointée vers moi.

— Heu... Il est occupé dans la voiture. Il m'a chargé de savoir ce qu'il se passait.

Le prince est là ?! Mon cœur tambourine de plus belle dans ma poitrine frigorifiée.

— Nous l'avons trouvée au milieu de la route, ajoute l'autre d'une voix méprisante, elle tient à se rendre au palais.

Un silence s'installe, coupé par la pluie. J'ai l'impression que les trois cavaliers veulent vraiment me pourfendre, juste pour se distraire.

— Eh bien, elle monte avec moi, dit le gnome avec assurance, le prince veut l'interroger.

Journal d'une Soubrette en GoguetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant