Chapitre 13

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La mélodie des orchestres résonne encore dans ma tête. Inconsciemment, je fredonne l'air et glisse avec une souplesse douteuse jusqu'au sol. D'un air absent, je visualise le balcon où boivent encore Lucasse et sa clique d'incapables. Je commencerai par éliminer le plus facile. Tron brille par sa carence en intelligence et rien que l'apercevoir affalé dans son fauteuil comme une crème renversée me hérisse les cheveux. Je m'approche d'un buffet et saisis nonchalamment un couteau avant de le glisser dans les plumes de mon chignon. Grâce à ma petite taille, personne ne me remarque ; je ne suis pas la seule danseuse à m'aventurer parmi les invités, après tout.

Je m'avance vers le balcon et rejoins le groupe assis avec un plateau sur le bras. Avec mon plus grand sourire, je propose les confiseries à mon employé et ses sbires. D'un regard discret je vérifie bien que Tron me reluque salement. Je crois que c'est dans la poche mais pour s'en assurer, je passe devant lui et lui adresse un long regard, rempli de suggestions.

Ça semble l'intéresser car il explique rapidement à ses compagnons qu'il se retire dans une suite pour des « raisons personnelles ». J'attends quelques instants qu'il disparaisse en haut d'un escalier et lui emboite le pas naturellement. J'attrape un nouveau plateau pour faire mine de jouer mon rôle de serveuse.

D'un pas léger, je gravis les marches et m'aventure dans le couloir flanqué de portes. Tron a laissé la sienne ouverte ; je pousse le rideau de perles et pénètre dans la chambre assez rudimentaire. Il n'y manque ni confort ni meubles mais on sent que le lieu tient seulement de son but utilitaire. Des draperies jaunes et vertes recouvrent les panneaux de bois dans une volonté de fraicheur mais ici, la lumière se reflète mal sur le tissu et ça ne donne qu'une impression de linge aux couleurs passées.

Tron me tourne le dos, une carafe en main pour se servir un verre.

— Je vous ai apporté quelques gâteaux pour accompagner votre vin, dis-je simplement.

Il décide enfin de me faire face, un sourire dédaigneux affiché sur sa face de débile. Les boucles entortillées qui tombent de chaque côté de ses joues molles lui retirent toute virilité alors que sa lèvre supérieure se relève naturellement dans une niaiserie exaspérante.

— Pas que des gâteaux, j'espère, ricane-t-il en m'enlevant le plateau des mains de manière à ce qu'il n'y ait plus d'obstacle entre nous.

Je me pince les lèvres : il fait bien trois têtes de plus que moi. Mais je doute qu'il soit une véritable menace.

— Allez, va retirer tes vieilles hardes, tu seras mieux sans.

Je hausse les sourcils et m'exécute. Mon costume ne tarde pas à tomber à mes chevilles et je me retrouve simplement chaussée de mes souliers trop haut pour moi. Sans tergiverser, je rejoins la couche et m'y enfonce jusqu'à la tête de lit. Viens me chercher, je t'attends, mon mignon.

En tout cas, lui ne prend pas la peine de se dévêtir, sans doute trop pressé de tirer son coup et repartir tout fringuant par la suite. Mais ne t'en fais pas, je crois que tu n'iras nulle part. Pas même entre mes cuisses.

Il passe la main dans son froc et me rejoint en se mordant la langue :

— Je n'ai jamais baisé un gnome, déclare-t-il vulgairement, mais vous ressemblez intéressement à des elfes.

Sympathique. Je préfèrerais qu'il garde ses fantasmes pour lui. D'ailleurs, je ne sais même pas si physiquement parlant, il peut coucher avec moi. Je suis tout de même très petite.

Mes jambes s'écartent en signe d'invitation alors que je lui envoie un sourire naïf. Sans se méfier, il se cale au-dessus de moi et baisse ses grègues pour se chauffer plus aisément. Clairement, je ne vais pas attendre qu'il soit prêt pour abréger cette entrevue. Je me colle contre lui comme si je voulais l'exciter, parce que c'est vrai que j'ai l'impression qu'il peine à la tâche. D'un mouvement élégant, je défais mon chignon sans le lâcher du regard. Mes doigts se referment sur le manche du couteau avec une froideur calculée. Cet imbécile ne se doute rien, trop occupé par son plaisir. Tant pis pour lui, il n'aurait pas dû se laisser embarquer avec moi.

Journal d'une Soubrette en GoguetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant