Chapitre 30

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Si je pouvais seulement disparaitre... Je suis assise à la table du bourgmestre, rouge comme une pivoine. Tous les regards se posent hostilement sur moi et j'aurais beau m'enfoncer dans mon fauteuil, je n'achaperais pas aux yeux perçants de ces nains.

Piteusement, j'observe mon assiette, dégoulinante de sauce fumante. Là marinent quelques côtelettes de veau ; ça me donne la gerbe. Comment avaler ces morceaux sanglants ? À ma droite, le nain semble faire exprès de manger salement, comme pour me mettre mal à l'aise. C'est réussi ! Tous ces bruits de sucions et de mastications me nouent l'estomac. Heureusement que la fée, sur ma gauche, tente de me remonter le moral.

— Essaie de gouter, au moins, me souffle-t-il.

— Impossible...

Alças se tourne vers le bourgmestre et lui fait comprendre d'un regard insistant que je ne risque pas de faire honneur à sa cuisine.

— Ah ces gnomes ! s'exclame-t-il avec sa jovialité permanente, ils ne savent pas apprécier les bonnes choses ! Veux-tu que j'aille couper de l'herbe pour toi ?

Je pique un fard et ne réponds pas, trop agacée par les ricanements qu'il vient de susciter à la table.

— Tu m'excuseras si mes ours ont marché dessus, par contre...

— Je n'ai pas faim, lâché-je sèchement.

— Calme-toi la demi-elfe. Je dois avoir quelques pommes de terre et haricots pour ton estomac étriqué.

Je me renfrogne et le laisse clore la conversation.

— L'extraction de souffre d'Almat est-elle bonne, cette année ? demande l'alchimiste pour changer de sujet.

— Très ! Les affaires fonctionnent avec tonnerre ! Je n'ai jamais eu une telle clientèle, d'ailleurs. Tu ferais bien d'acheter rapidement ta part avant qu'un nouveau contrat n'épuise mes réserves.

— Je voudrais signer aujourd'hui, si possible.

— Bien sûr, l'elfe doit te mettre une sacrée pression. Je l'aime beaucoup, tu sais : il est riche et me rachète ma marchandise au prix le plus haut ! Je serai curieux de connaitre l'étendue de sa fortune. Aux Forges de Baarl, on dit qu'il se torche le cul avec de la feuille d'or.

— C'est très poétique...

— T'as vu ça ? Mais je sais qu'il n'en mène pas large de son côté. Toujours prêt à arnaquer, le prince Morgal.

— Et sinon, tu arrives à tenir la ville ?

— D'une main de fer ! assure-t-il en s'essuyant la bouche d'un revers de manche, les trouble-fêtes n'ont qu'à bien se tenir !

— Et les sectes ? demande la fée en sortant son mouchoir.

Une ride de contrariété apparait entre les deux gros sourcils broussailleux.

— Les sectes ? Bah, rien de différent. Elles me pourrissent le quotidien mais que veux-tu que je fasse ? Elles font marcher le commerce du port. Surtout depuis que les Gardiens de la Justice sont arrivés.

— Les g... Ils ont vraiment choisi ce nom pour leur confrérie ?

Alors là, je suis d'accord. C'est claqué au sol.

— Oui. Mais à défaut d'un titre ridicule, cette secte sait pertinemment ce qu'elle veut. Et mes hommes me renseignent sur des faits assez étranges. C'est une assemblée de mages très expérimentés, il faut s'en méfier et les avoir dans la poche.

Alças se gratte le crâne comme pour assimiler l'information :

— Je vais devoir rapporter ça au prince. Il hait les sectes.

Journal d'une Soubrette en GoguetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant