Retourne-toi

12 - PAUL

Samedi 18 septembre.

Je sais que j'aurais dû lui tenir tête, que j'aurais dû lui dire toute cette rancœur que j'ai accumulée contre elle avec le temps, j'étais parti pour le faire et puis... Et puis ses yeux... Je n'ai pas su faire face, je n'ai pas su me souvenir de toutes ces années de manque, de souffrance... Marcus me tuerait sur le champ de me voir si faible. Pourtant, je n'arrive pas à me souvenir de ce que j'ai pu souffrir, parce que rien que le contact de sa main sur la mienne me parait un milliard de fois plus agréable que tout ce que Jade a pu m'apporter. Parce que ses yeux, ce regard, j'en ai rêvé tellement de fois que je m'y suis perdu. Parce que c'est elle, parce que je le sais depuis toujours.

"Attends-moi", elle avait dit. Comment voudrait-elle qu'il en soit autrement ? Je m'en veux d'être aussi faible et de ne pas réussir à la faire souffrir comme elle l'a fait, mais... Je ne peux pas, je ne peux simplement pas, c'est plus difficile que tout ce à quoi je pouvais m'attendre. Alors oui, je suis faible, je l'admets, mais peut-être que tant pis, non ? Peut-être qu'on s'en fou ?

Marcus voudrait passer ce soir, mais pour une fois je refuse, et je lui dit que je suis trop occupé sur des plans d'une rénovation. Je m'en veux de lui mentir, mais il est bien trop perspicace, s'il me voit aujourd'hui dans cet état, il saura immédiatement que j'ai vu Roxane, et il saura aussi en quelques secondes à quel point je suis fou de cette fille, et il me fera la morale pendant toute la soirée. Je n'en ai pas envie. Je veux rester sur mon petit nuage juste un moment, même si c'est trop beau pour être vrai, même si je ne sais pas de quoi demain sera fait et même si je suis encore moins sûr que Roxane tienne sa promesse, j'ai envie d'y croire, même si c'est juste pour un soir.

Même si je suis le plus faible de tous, même si je ne devrais pas, même si la bienséance me dicte de lui en vouloir encore et de ne pas lui pardonner, au fond de moi je sais. Je sais que c'est elle. Je sais qu'elle n'est pas revenue par hasard. Je sais que je vais encaisser les regards méprisants, mais je m'en contre-fiche. Je balaye d'une main tous mes doutes, toute ma rancune, et je choisis, pour une fois dans ma vie, d'écouter mon cœur et de me laisser aller, sans penser à ce qui se passera demain.

Dimanche 19 septembre

Je me lève avec une étrange sensation au creux du ventre. Je me sens léger et en même temps angoissé. Les doutes m'assaillent à nouveau. Ce n'est peut-être pas une si bonne idée de laisser Roxane entrer à nouveau dans ma vie, si ? J'en crève d'envie, mais... Mais quoi ? Bon sang, mais qu'est ce que je suis censé faire moi, hein ?

Je soupire rageusement et enfile rapidement ma tenue de travail. Je vais aller un coup à l'atelier, ça me changera les idées, j'en ai plus que marre de voir une paire de magnifiques yeux verts hanter mes pensées à chaque seconde. Je ne dois pas m'emballer. Je dois attendre de voir ce qu'elle va faire, si elle va vraiment tenir sa promesse. Je ne peux pas me permettre d'espérer comme ça aussi vite et de tout lui pardonner d'un revers de la main juste pour ses jolis yeux, je n'ai plus quinze ans, bordel ! Je ne dois clairement pas céder aussi vite. Aller, prends exemple sur Marcus un peu, et blinde toi, Paul, tu peux le faire. Et voilà que je me parle à moi-même cette fois. Mon pauvre vieux, tu débloques complètement, et cette fille n'y est pas inconnue, loin de là.

Passer la matinée entre mes machines et mes planches de chêne, avec l'odeur réconfortante du bois me détend, et je rentre me changer avec le sourire avant d'aller manger chez mes parents, comme souvent le dimanche. 

Mon père m'accueille d'une tape affectueuse sur l'épaule, et ma mère me sert dans ses bras. Elle est très tactile et un peu trop maternelle, mais bon je sais qu'elle aime faire ça alors je lui laisse ce plaisir, même si je ne suis pas moi-même très à l'aise avec les câlins et autres marques d'affection habituellement.