13 - ROXANE

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Dimanche 19 septembre

"J'espère qu'il n'y aura pas de prochaine fois..." 

La réponse de Paul arrive quelques secondes après l'envoi du message que j'ai écrit à la hâte, par peur que Paul ne se fasse des films sur ce qu'il a vu et certainement entendu. Je trouve ça vraiment mignon qu'il se soit "caché" pour écouter ce qu'ils se passait. Même si il n'était pas bien caché du tout, je trouve ça attachant qu'il veuille savoir ce qu'il se passe chez moi. Il a dû très vite comprendre qui était ce grand blond habillé en parfait citadin... Je m'en veux mais en même temps, je n'aurais pas pu empêcher ce que je ne savais même pas... 

Avec un soupir, je repose mon téléphone sur la table et croise mes mains dessus, avant qu'Alban ne tente de prendre une de mes mains dans la sienne. Il est à ma droite, mon père en face de lui et maman en face de moi, me lançant des regards mi-inquiets, mi-réprobateurs.  Un silence gênant pollue l'atmosphère depuis ce qui me paraît être une éternité. Depuis qu'Alban s'est présenté et a échangé quelques banalités avec mes parents, en fait.

Dès qu'il est entré dans la maison, ma mère a accouru pour demander qui était passé. Lorsque ses yeux se sont posés sur Alban, elle a compris en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire et son regard s'est glacé. Polie, elle l'a fait entrer et lui a servi un café, mais n'a pas tenté de faire le moindre effort pour entamer une quelconque conversation avec mon fiancé. 

En même temps, ce n'est pas comme si il y en avait eu besoin, jusqu'ici. Alban s'est installé comme s'il était chez lui, ne s'est pas déchaussé, a demandé où sont rangés les verres et si nous n'avions pas un soda sans sucre à lui donner car "le long voyage lui a donné soif, mais il ne faudrait pas bousiller les efforts fournis en salle de musculation quatre fois par semaine."...

Depuis, il sirote un verre de coca-cola normal, puisque nous n'avons pas de sans-sucre. "Oh et puis après tout, ce n'est pas grave, c'est juste une fois."... Comme si on en avait quelque chose à faire de son foutu soda et de ses tablettes qui ne servent qu'à épater la galerie... Il n'est là que depuis quelques minutes et pourtant, il m'horripile déjà. Ce sentiment me fait peur parce que quand je croise le regard de ma mère, je sais qu'elle voit dans mes yeux ce que je ne suis pas prête à m'avouer. Il n'y a plus rien entre lui et moi. Mes pensées ne sont pas tournées vers lui, mes sentiments non plus, même mon corps est totalement fermé à un quelconque rapprochement physique. 

Pourtant, il ne semble se douter de rien, contemplant comme un touriste de base tous les bibelots de mes parents, de la cloche de leur mariage à l'horloge comtoise en passant par le panier en osier rempli de pelotes de laine de ma mère. Son regard se promène sur les objets qui ont bercés mon enfance comme on regarderait une émission de divertisement à la télé. On regarde, mais c'est totalement vide de sens et on ne sait même pas pourquoi on est là. Il fait tellement... Déplacé au milieu de tout ça ! Tellement kitch, tellement orgueilleux, matérialiste et superficiel ! Tout ce que je trouvait attirant chez lui, de son regard bleu azur à ses mains douces et longues en passant par ses muscles saillant, tout me semble sans intérêt. Tout ce que je regarde me rappelle que ce n'est pas Paul. Qu'il est un imposteur, que je me suis voilée la face pendant si longtemps à me construire une vie parfaite qui ne me correspondait en rien... 

Tout me rappelle qu'Alban n'est que le pansement de ma rupture avec Paul. Un pansement confortable que je n'ai pas voulu ôter de peur d'avoir mal. Un pansement qui est resté puis est devenu une partie entière de ma vie. Un pansement que je n'ai plus vu comme tel, que j'ai laissé là, et auquel je me suis habituée. Un pansement qui m'empêchait de voir que je commettais la plus grosse erreur de ma vie. Les années sont passées et puis j'ai finis par y croire réellement, à ce compte de fée version citadine du 21ème siècle. J'y ai cru alors que ce n'était réellement pas moi. Ça n'a jamais été moi, tout ça. Cette fille-là, elle n'a rien en commun avec la Roxane d'il y a dix ans. 

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