— Tu devrais appeler un taxi pour rentrer, tu n'as pas l'air bien, continua le videur.
Toujours incapable de parler, je hochai la tête tout en fouillant mon sac à dos pour récupérer mon téléphone. Il était plus d'une heure du matin. Mes doigts tremblants déverrouillèrent l'écran pour appeler.
Le videur reprit son air imperturbable et détourna le regard, ne s'occupant plus de moi. Chancelant sur mes appuis, je glissai pour m'accroupir au sol, recroquevillé et perdu. Mon cerveau n'arrivait pas à réfléchir et je sentais l'émotion m'envahir pour humidifier mes yeux. Merde, je n'y voyais plus rien.
— Allô ? entendis-je dans le téléphone.
Une voix rauque, pleine de sommeil. Une voix que je reconnaîtrais entre mille.
— Jay ? reprit Roman avec plus d'assurance.
Mon cœur chuta dans ma poitrine et un barrage céda. Le cocktail d'émotion me ravagea et un sanglot déchira ma gorge. Je sentais encore les mains du client sur moi, telles des marques ignobles.
Je n'avais pas voulu ça. Je devais simplement danser. Comme j'aimais le faire. Pas être... touché ainsi. Le dégoût se mêla à la peur que j'avais ressentie lorsqu'il m'avait bloqué de son imposante stature.
— Jay ? répéta Roman, beaucoup plus fort.
— Ro-Roman.
— Qu'est-ce qui se passe ? Ça ne va pas ?
— Tu peux... venir me chercher ?
Un couple arriva devant le club, sourires aux lèvres. Une fois à mon niveau sur le trottoir, ils baissèrent les yeux avec surprise et leur regard changea pour exprimer une forme de dégoût, comme si j'étais un déchet. Je me redressai alors vivement, mes jambes peinant à supporter mon poids. L'humidité sur mes joues me fut insupportable et j'essuyai mes larmes d'un revers de main.
— Pourquoi veux-tu que je vienne te chercher ? s'enquit Roman.
— S'il te plaît, murmurai-je.
Tout ce que je voulais, c'était partir d'ici. Retrouver Roman. C'était avec lui que j'aurais dû passer la soirée, pas dans ce club. Pourquoi je m'étais laissé appâter par l'argent ?
Pourquoi Jim n'avait rien dit ? Les box privés n'impliquaient pas forcément des extras, je n'avais jamais donné mon autorisation pour ça ! Est-ce qu'il s'était imaginé que j'étais intéressé par les extras à cause de ma propre connerie le soir où j'avais été démasqué par Roman. En fait, tout ça, c'était ma faute ?
— Jay ?
La voix de Roman me tira de mes pensées.
— Hein ? dis-je, la gorge serrée.
— Tes parents ne vont pas apprécier si tu pars de la maison en pleine nuit. Raconte-moi ce qui se passe.
— Je...
Un autre sanglot me secoua. Je déglutis difficilement pour pouvoir finir ma phrase, pour pouvoir supplier Roman de venir me chercher, de me récupérer, de m'aider.
— Tu pleures ? s'inquiéta immédiatement Roman d'une voix stridente.
— Je suis pas chez moi, lâchai-je dans un murmure.
Le froid de janvier me tétanisa avec la même efficacité que les yeux noirs de Frédéric. Le dos contre le mur glacé, je collai mon sac à dos contre moi pour trouver du réconfort. J'avais l'impression que le vent fragilisait mes os. Était-ce même possible ? L'expression « être glacé jusqu'aux os » prit tout son sens.
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Grand Écart
RomanceDe deux générations différentes, la vie de Jay et Roman s'entrechoque. Et... cela fait des étincelles ! Jay attend avec impatience d'en finir avec le lycée et d'entrer en École Supérieure d'Art Dramatique pour vivre sa passion, la danse. Intrépide...