Prologue

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J'entends le roulement métallique suivi d'un faible clic. Je serre les dents en priant que le barillet du colt SSA soit vide.

Depuis combien de jours suis-je enfermée dans cet abri troglodyte ? Je n'en sais foutrement rien. J'ai perdu la notion du temps à force de rester dans le noir.

J'ai faim, j'ai soif et le simple fait de garder les yeux ouverts est difficile. Je ne dors plus que par petites pauses, ou quand je perds connaissance.

Je tends l'arme au prisonnier en face de moi. Son regard sans âme n'arrive pas à m'attrister. À la différence de moi, il a perdu espoir. Il est fatigué, mutilé et terriblement maigre.

Il fait rouler le barillet et un cliic retentit. C'est presque imperceptible, mais on nous force à jouer à la Roulette russe depuis des semaines et j'ai fini par retenir le nombre de tours et le son du métal.

Il sourit. Il sait. Il est enfin libre. La balle traverse son crâne et son corps tombe dans un bruit sourd tandis que la douille cliquette sur le sol rocailleux.

Cette fois encore, je n'ai aucune réaction. Combien de soldats, de reporters et de prisonniers ai-je vus mourir sous mes yeux ? J'ai arrêté de compter.

Des mains me saisissent, puis me soulèvent de ma chaise sans ménagement avant de me jeter dans une pièce. L'homme qui partage ma cellule m'observe un instant et me tend une bouteille d'eau de couleur jaunâtre. Le goût âcre m'irrite la gorge comme si je buvais du gravier.

La transpiration, la poussière et mes vêtements sales causent d'atroces brûlures sur ma peau. Sans parler de la bande qui plaque ma poitrine pour la rendre aussi plate que possible. Quand je suis persuadée que personne ne va venir, je la retire en serrant les dents. Le sable ronge ma chair meurtrie.

Durant mon premier interrogatoire, ils se sont contentés de me planter de fines aiguilles sous les ongles et d'envoyer des décharges électriques à l'aide d'une batterie de voiture. La douleur était si violente qu'au début je perds constamment connaissance. Le corps s'habitue à tout, j'ai fini par la supporter, alors ils sont passés à l'étape d'après en m'arrachant les ongles un à un.

— Treize, tu tiens le coup ? me demande l'Anglais qui n'est pas au meilleur de sa forme.

Je m'allonge sur le sol et fixe ses yeux bleus. Tenir le coup ? Je n'ai pas le choix. Je ne peux pas infliger à ma sœur un nouveau deuil en plus d'un cercueil vide à côté de celui de nos parents.

Je détourne le regard pour observer ma main gauche puis tourne machinalement la bague de fiançailles invisible que j'ai enlevée. Je dois rentrer à la maison, retrouver mes proches et me marier. Nous avons de beaux projets d'avenir et pour cela, je dois survivre.

La fatigue me rattrape et je ne lutte pas. Je suis réveillée par le grincement de la porte en ferraille. L'Anglais est jeté au sol et mon pouls s'emballe. Son visage défiguré est recouvert de sang séché. Courbaturée, je rampe jusqu'à lui et le pousse sur le dos.

— Tu penses que ton unité va nous trouver ? murmure Sept en crachant une salive pâteuse mélangée à de l'hémoglobine.

J'essuie ses joues et sa bouche avec la manche de mon pull déchiré.

— Mon frère ne m'abandonnera pas.

— Prie pour qu'il nous sorte d'ici rapidement, je ne tiendrais pas longtemps, tousse-t-il avant de se retourner en position fœtale.

Je détourne les yeux. Jimmy est assez fou pour venir me chercher dans ce trou à rats.

Avec l'Anglais, nous sommes traînés hors de notre geôle quelques heures plus tard. Il y a de l'agitation autour de nous, cependant on nous assied tous les deux face à face. Pour la première fois mon cœur se comprime dans ma poitrine, aujourd'hui l'un de nous mourra.

Sept rive son regard au mien et on lui met l'arme dans les mains. Sans un mot, il fait rouler le barillet. Clic. Avant même qu'il n'appuie sur la détente, je suis soulagée d'entendre ce son. Nous échangeons le revolver à cinq reprises et au moment où j'attrape le colt, l'homme derrière Sept ricane.

— Vise-le, ordonne-t-il.

Au moment où je tourne le barillet, je sais. Cliic. Je déglutis et tends le bras vers l'Anglais.

— Fais-le, m'encourage-t-il, presque reconnaissant que j'abrège ses souffrances.

Sept n'est pas en état. C'est à peine s'il peut rester debout. À la différence de tous ces prisonniers qui ont eu la malchance d'être le perdant, Sept a gardé la tête froide jusqu'à maintenant. Il ferme les paupières et je vois une larme couler le long de sa joue boursoufflée.

— Vas-y avant qu'il ne te tue.

Pour la toute première fois depuis le début de ma captivité, je m'adresse à lui en Russe pour être certaine que l'homme derrière lui ne comprenne pas.

— Tiens-toi prêt, lâché-je dans un murmure.

Il ouvre soudain les yeux et j'appuie sur la détente.

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