PROLOGUE

658 31 10
                                    

Début décembre. Le paysage a étendu son grand manteau blanc. Le ciel gris clair laisse retomber de gros flocons qui s'écrasent sur l'épaisse couche déjà au sol. Tout est silencieux et ce décor semble avaler toutes formes de bruits.

Aimy regarde par la porte fenêtre du salon, et y reste parfois des heures, sans jamais prononcer un seul mot. Cette fille aux longs cheveux bruns, au visage fin, aux mâchoires saillantes et aux yeux marron clairs, a perdu sa voix ce 27 août 2021. 

D'ailleurs, de cette fille à la joie de vivre, il ne reste plus rien. Juste un corps physique sans aucune expression. Son regard s'est éteint, son sourire a disparu tout comme sa voix depuis ce jour-là.

Elle passe de longues heures assise devant la fenêtre ou agitant des crayons de papier ou de feutres noirs sur des feuilles au hasard.

Ses parents résignés, ont pris l'habitude de la voir dessiner ou de s'isoler. Ils désespèrent un jour de retrouver leur fille, sourire aux lèvres. Ils ont tout essayé, du psychiatre aux médecins, des pseudos magiciens aux charlatans acariâtres.

La réponse aux troubles du stress post-traumatique ne dépend que de la personne, même si certains pensent qu'une thérapie cognitovo-comportementale est essentielle.

Aimy peut rester des heures sur sa chaise au milieu des autres, sans un signe, sans un mot, sans une seule expression. Cela fait 14 mois que son état est identique, sans aucune amélioration. Petit à petit, ses amies se sont éloignées. Une relation qu'elles jugeaient bien trop compliquée à gérer. Et surtout, une souffrance qu'elles ne pouvaient plus supporter.

Début octobre, Aimy a pris le chemin de la faculté, toujours sans un mot, pour étudier. Aussi bizarre soit-il, elle a choisi les langues et les lettres, pour quelqu'un qui ne parle pas, est-ce un hasard?

Dans les couloirs, elle entend les étudiants échanger, se moquer ou même crier, mais elle ne fait que marcher sans jamais sourciller. Dans quelques mois, elle fêtera sa 18e année, sans fête, sans rires, ni bougies. Ça fait bien longtemps que son corps sans vie à oublier. Au grand désarroi de ses parents qui la voient grandir sans pouvoir réagir. Ils la regardent errer dans ce profond silence qui ne savent plus comment briser. Son visage sans teint a cessé de déverser des larmes, elle n'est plus en mesure de pleurer, ce liquide salé, trop longtemps écoulé, a fini par s'épuiser. Il n'y a plus que vide et silence dans ce corps tout entier. Une immense plaie profonde habitée par une réelle souffrance.

Personne, non personne, pas même elle, ne peut décrire cette violence. Elle vit avec mais que vit elle?

Sa mère ne peut pas se faire une raison devant ce visage sans expression. Il n'y a ni larmes, ni colère, ni étonnement, ni joie, ni sourire dans ce regard fade et lasse. Chaque nuit, elle espère que sa fille affichera une lueur dans ses yeux au réveil, à défaut d'une simple parole. Chaque nuit, sa mère rêve que ce ne sera plus pareil qu'aujourd'hui. Mais chaque matin, la tristesse l'envahit quand elle n'y voit toujours rien.

Son père, s'est habitué à cette présence qu'il embrasse chaque jour sur la joue, mais il a cessé d'y croire. Il ne sait même plus s'il reconnaitrait sa voix. Parfois, c'est le cœur lourd qu'il part au travail et s'étonne de se sentir mieux dans celui-ci que chez lui.

Ils aimeraient tant savoir ce qu'elle pense, ce qu'elle vit, pour ne serait-ce, qu'avoir des mots réconfortants. Mais comment aider, comment parler quand il n'y a que le néant.

Après le silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant