Début décembre. L'hiver est bien engagé, les températures ont bien baissé et la pluie s'en est même mêlée. Il fait froid à l'extérieur et impossible aux jeunes filles d'aller poser leurs petits postérieurs au pied de leurs arbres tout dépouillés.
Les étudiants se sont amassés dans les allées et les couloirs, rendant les accès hésitants et avec beaucoup de difficultés. Aimy a beau se serrer, slalomer, mais rien n'y fait, certains viennent la bousculer ou l'asticoter exprès. Julia lui emboîte le pas pour riposter si nécessaire car elle se fiche du prochain adversaire. Ce n'est pas son genre de se taire face aux élèves protestataires et enclins à se manifester par la provocation. Aimy n'est pas en position d'échanger face aux quelconques altercations. Alors Julia veille sur son amie jusqu'à destination de la salle de leur premier cours. Aimy s'assied tandis que Julia, toujours aux aguets, attend pour se placer juste derrière sa rangée. C'est plus fort qu'elle, elle ne peut pas supporter la méchanceté gratuite. Elle se doute qu'Aimy est détruite et qu'il est inutile qu'elle subisse encore.
Julia n'écoute pas tous les ramassis de conneries au sujet d'Aimy que l'on crie à tout va, dans les amphis. Non, elle se dit que lorsqu'Aimy sera prête, elle lui adressera une oreille discrète. En aucun cas, Julia ne veut l'obliger à lui tirer les vers du nez. Tout comme l'amour, l'amitié se construit sur la base de la confiance et Julia ne trahit pas tous ses principes. Elle ne souhaite pas qu'Aimy se méfie d'elle puis qu'elle finisse par ignorer sa présence. Julia est charmée par Aimy. Elle ne sait si c'est par sa beauté ou ce qu'elle dégage de ce corps muet. Sans trop solliciter Aimy, Julia souhaite l'apprivoiser et lui tendre la main en cas de besoin.
***
Julia tend le bras, un papier en main et tapote sur l'épaule d'Aimy pour qu'elle s'en saisisse. À la manière de faire, celle-ci a reconnu la douceur du geste et se retourne volontiers pour récupérer le petit mot sur lequel il y a de noté "ça te dit d'aller à la bibliothèque à 11h pour réviser au calme? Il fait froid dehors et je sais que nous ne serons pas dérangées là-bas. Julia". Tout en écoutant, Aimy déplie et lit le petit message. Intérieurement, Aimy sourit et se réjouit d'avoir une amie studieuse et attentionnée. Aussitôt, elle s'empresse de répondre au dos du papier " oui, c'est une excellente idée et je suis contente de pouvoir réviser avec toi. Aimy". Elle replie délicatement le papier et se tourne légèrement vers Julia qui le prend rapidement. À sa lecture, celle-ci fend un sourire sur son visage et se ravit de son choix.
Il est 11h et les cours de la matinée sont finis. Mutuellement, elles se dirigent hors de l'amphi en direction de la bibliothèque. Aimy n'a pas besoin de se retourner pour chercher son amie, elle sent sa présence comme elle se sent en sécurité. Plus elles s'approchent de l'endroit, plus les couloirs se désertent des étudiants. Elles se stoppent devant une grande porte en bois à deux battants où est gravé "bibliothèque". Aimy ne peut s'empêcher de passer ses doigts sur le mot en relief. Pendant un instant, son esprit s'est perdu. Ces portes gravées, ciselées, lui rappellent les portes des anciens monastères où l'on stockait les vieux grimoires écrits à la main. Elle revoyait même les vieux pupitres, la plume et l'encrier. Mais à l'ouverture de cette porte, ce sont quelques siècles qui se sont écoulés. Certes les étagères que supportent les livres sont en bois, mais les tables et les chaises, du mobilier moderne. En revanche, celles-ci semblent bien disposées pour accueillir les étudiants en toute discrétion.
Aimy et Julia choisissent la table du fond, près des fenêtres. Là où il y a plus de lumière et où les curieux ne s'aventurent pas trop. Elles prennent place, l'une à côté de l'autre pour mieux se retrouver face aux livres. Les partiels sont sur le point de commencer et Julia panique sur le dernier cours de philosophie qu'elle n'a pas compris.
-Aimy, pourrais-tu m'aider en philo? Je n'ai pas très bien saisi le dernier cours et j'ai peur de me planter aux partiels. Enfin seulement si tu es d'accord et que tu n'as rien d'autre de prévu.
Aimy sort aussitôt son petit carnet. " pas de souci. Je t'aide en philo et en même temps je révise avec toi. Ensuite toi, tu pourrais m'aider avec l'anglais". Après lecture et approbation, sourire aux lèvres pour Julia, elles se mettent au travail. Julia lui explique où sont ses difficultés et son incompréhension. Au milieu d'elle, une grande feuille blanche sur laquelle Aimy écrit, soit des notes soit des réponses à celle-ci. En l'espace de quelques minutes, elles semblent avoir trouvé leur rythme et la manière d'échanger et d'étudier. Toutes les deux se surprennent de leur complicité et de leur simplicité à effectuer leur tâche. Comme possédées et sans relâche, elles n'ont pas vu l'heure passée. Julia pointe un doigt sur sa montre pour signifier qu'il est temps d'aller manger.
-Veux-tu qu'on se pose sur un banc à l'entrée pour manger? Et ensuite, si tu veux on peut reprendre soit les révisions ou soit tu peux dessiner, demande Julia un peu intimidée.
Aimy sort vite son petit carnet et écrit " Oui pour aller manger sur un banc et ensuite on se détend. Et sans vouloir te forcer et si tu n'as rien de prévu, nous pourrions étudier à la bibliothèque à 15h".
Julia lit.
-Je n'osais pas te le proposer et ce serait une excellente idée. J'apprécie de réviser avec toi.
Aimy acquiesce de la tête et Julia aurait presque pu discerner une petite déformation au coin de sa bouche. Elle n'en est pas certaine, mais ça la touche. Toutes les deux vont pouvoir passer la journée ensemble et se soutenir dans leurs révisions. Elles sont toutes les deux motivées et espèrent obtenir de bons résultats.
Après leur repas, elles sont allées occuper la table du fond de la bibliothèque. Aimy a sorti sa pochette à dessins et Julia ses écouteurs. Mais avant de les enfiler dans ses oreilles, elle en a frotté un en donnant un léger coup de coude à Aimy.
-Est-ce-que ça te dit de dessiner en musique? Avec un sourire franc.
Sans hésiter, Aimy prend l'écouteur et l'insère dans son oreille. D'ordinaire, Julia ferme les yeux, mais aujourd'hui, elle est subjuguée par Aimy et sa manière d'avoir appréhendé ce moment de complicité. Julia est aux anges. Rien ne dérange Aimy et elle veille à ce qu'elle soit concentrée sur sa feuille encore blanche. Son sourire est franc et tout ce qu'elle ressent, c'est de constater qu'Aimy est décontractée.
Après leurs deux derniers cours, elles se sont dirigées à la bibliothèque. D'un consentement, elles révisent par ordre de priorité et se répètent les leçons imposées. Elles seraient même surexcitées de leur vitesse à enregistrer et de la manière dont elles font valser les cours et leurs cahiers. Tout est si logique et sans difficulté qu'elles se sentent hystériques à l'approche des examens. Elles ne pensaient pas si bien avancer et s'accordent même les lendemains pour récidiver.
Deux heures trente de travail acharné sans s'apercevoir du temps écoulé. Elles replient leur attirail puis s'agitent pour la sortie. Il ne faudrait pas manquer le bus. Mais à l'approche des fenêtres et de la lumière sombre, la pluie frappe derrière en gouttes épaisses et torrentielles. Les deux amies se fixent de surprise puis Aimy, de son sac, sort un parapluie. Sans parler, elle attrape le bras de Julia qu'elle colle à ses côtés pour la protéger de l'averse spontanée. Un peu dans l'incompréhension, Julia se laisse guider dans la joie, pardon, qu'elle n'aurait jamais espéré avec autant de rapidité. En fin sous l'abri de bus, préservées de cette intempérie, Julia un peu fébrile, se met à bafouiller quelques mots à son amie.
-Merci Aimy pour le parapluie, mais aussi pour cette journée passée avec toi...enfin pour...euh...nos révisions quoi...
Julia est timide tandis qu'Aimy est touchée. Cette fois, Julia ne se trompe pas, elle a bien aperçu une expression sur le visage d'Aimy. Et c'est toute chamboulée qu'elle tente de se la remémorer. Aimy acquiesce de la tête pour lui signifier qu'elle aussi a apprécié.
Leur bus arrive enfin et démarre dans des directions opposées. Chacune le cœur enjoué, elle savoure leur journée. Aimy ne se rendra pas dans son paradis ce soir à cause de la pluie et parce qu'il se fait tard.
Elle embrasse ses parents en rentrant puis se dirige dans le noir jusqu'à sa chambre. Elle peut s'octroyer du bon temps vu comme elles ont bien travaillé et elle sort sa planche à dessins pour continuer ce qu'elle avait commencé. Dans son esprit, elle parlera à Jade de ce moment passé avec Julia, juste pour partager un peu de joie.
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Après le silence
RomanceAimy et Jade avaient leur avenir tout tracé. Des projets plein la tête, une vie rêvée. Elles n'attendaient qu'à les réaliser. Mais au détour d'une route, leur destin a été brisé. Tout a volé en éclats dans le pire des fracas. Comment se reconstruire...