27 août 2021.

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Elles avaient tout pour plaire, leur beauté, leur joie de vivre et leur amour inconditionnel.

Elles poursuivaient les mêmes études et brillaient par leur facilité à réussir. Elles avaient obtenu leur diplôme avec mention et s'étaient inscrites à la même faculté de langues. Elles projetaient ensuite de voyager, de se marier et même d'avoir un bébé. Pour elles, tout était tracé et ne se posaient plus aucune question. Elles célébreraient leur union dans leur 18e année et vivraient leur passion.

Bien qu'inquiets par leur précipitation, leurs parents ne s'interposaient plus à leur amour, qui illuminait leurs visages et brillait dans toutes les pièces de la maison. Oui, elles s'aimaient tant que toutes les familles s'étaient habituées à leur bonheur, à leur joie de vivre qui transpiraient dès le matin.

Elles ne vivaient jamais l'une sans l'autre et partageaient chaque moment, chaque activité, seules ou avec d'autres. Elles aimaient les mêmes choses, l'art, la culture et l'ivresse des jours qu'elles s'imposaient.

Ô comme elles s'aimaient ! Tous les gens du quartier les saluaient et riaient de leur fougue communicative. Elles étaient appréciées par leur petite vie active dont leur jeunesse faisait sourire les riverains et même les demoiselles aux longues tresses.

Elles s'étaient rencontrées au lycée et se sont plues au premier regard. On aurait pu croire qu'elles ne faisaient qu'une seule et même identité, comme le reflet d'un miroir. Depuis, elles ne s'étaient plus quittées, au grand drame des adolescents en proie à leur virilité.

Elles se fichaient des moqueries, des insultes qu'on leur infligeait. elles avaient décidé de les ignorer pour mieux profiter de la vie et de leur petite bulle. Elles trouvaient regrettable le comportement de la société qui s'empêchait de vivre pleinement de peur d'être jugée. Elles s'attristaient de ces lycéens, sans personnalité, qui se fourvoyaient pour mieux appartenir à un groupe ou faire semblant d'être quelqu'un. Elles adoraient leur complicité, leur vie à deux et s'extasiaient de tout et du si peu.

Il n'y avait que douceur et tendresse dans cette harmonie qu'elles composaient. Les gens comme les professeurs, les comparaient à deux petites fleurs épanouies. Ils étaient fiers de leur richesse qui n'était autre que celle du cœur. Elles avaient soif d'apprendre comme de comprendre tout ce qui les entourait. Elles avaient beaucoup de connaissances et l'intelligence de s'en servir.

Il n'y avait que fraicheur quand ces deux petites âmes se retrouvaient. Quand leurs rires embaumaient la maison ou les salles de classe. Quand leurs sourires se fendaient dans les rues ou sur une place. Ça ne choquait plus personne de les voir se tenir main dans la main sur les chemins ou s'embrasser dans les jardins à l'ombre des arbres plantés. Non, ce qui choquait, c'est lorsqu'elles étaient séparées, par un repas de famille ou devant être alitées par la maladie.

Un rêve tout éveillé que la vie leur offrait jusqu'à ce 27 août de cette putain d'année, où tout s'est arrêté. Un rêve brisé par l'inconscience d'un chauffard qui leur a tout retiré en l'espace de quelques secondes. Des secondes qui ont duré une éternité, des secondes qui ont fait voler en éclat leurs meilleures années et tout ce qu'elles avaient espéré.

Elles rentraient d'une promenade à vélo, sourire et rires aux lèvres, sur cette petite route de campagne, aux allures calmes. Mille fois empruntée, elles connaissaient le moindre virage, les moindres sentiers et tout ce qui se fendait sur leur passage. Mais ce dimanche là, elles n'avaient pas prévu de rencontrer ce chauffard, de seulement quelques années leur ainé.

À l'approche du moteur, elles se sont serrées sur le bas côté pour laisser passer cette voiture à grosse cylindrée. Jade était postée devant Aimy, pas très écartée. À la hauteur d'Aimy, il donne un coup de volant et vient percuter Jade dans un choc violent. Un bruit de tôle, d'os brisés, un corps qui vole, qui éclate, qui frappe et qui roule sous les roues de la voiture. Cette voiture qui traîne la bicyclette dans un vacarme de ferraille, qui racle le bitume et qui écorche toutes les entrailles d'Aimy. Il ne s'arrête pas malgré qu'elle hurle, impuissante à cette scène dont le chauffard n'a pas conscience.

À genoux devant son amour, sa petite amie,  gis son corps sans vie, où une immense flaque de sang les entoure. Ses yeux sont fermés, son corps ne ressemble plus à rien. Désarticulé, démantibulé, tel un pantin, il demeure sur le sol. Aimy hurle de toute sa voix, de tous ses poumons, sanglote et pleure de toutes ses larmes, sans bouger. Elle ne sait pas les heures qu'elle a passé à la veiller, à attendre qu'elle se réveille ou le temps qui s'est écoulé à l'approche des sirènes des pompiers. Elle ne sait même pas qui les a alerté. Elle est prostrée sur le sol, la main de sa petite amie dans la sienne. Elle pleure encore, mais sa voix ne se fait plus entendre. Les secours essayent de la détacher, mais elle hurle à l'idée de les séparer. La femme aux longs cheveux bruns tente de la rassurer, de la réconforter, de trouver les mots pour lâcher sa petite amie. Qu'ils allaient prendre soin d'elle, l'emmener dans un endroit douillet, au chaud, où elle pourrait la revoir bientôt. Ses yeux sont vides, éteints et Aimy se laisse transporter pour quelques soins.

Leurs parents respectifs ont été alertés et c'est dans cette salle d'attente, aux urgences que les cris, les pleurs envahissent les murs. Les parents aux visages décomposés ne savent plus comment réagir, car rien ne les soulage. Ni les murmures des médecins, ni les larmes, ni les appels de détresse. C'est un tsunami de pleurs, un fracas de sanglots et un vacarme de hurlements qui résonnent dans cette minuscule pièce aux allures de tristesse.

                                                                                      ***

Malgré toutes les tentatives à chercher des explications auprès d'Aimy, les médecins, la gendarmerie se sont heurtés à un mur. Vidée de son amour, de sa vie, Aimy n'est plus qu'une ombre, livide qui ne racontera plus rien. Ce chauffard lui a tout pris, il ne lui reste plus rien. Plus rien que toute cette dernière scène, remplie de bruits, d'images malsaines, d'un corps mort que ce chauffard a laissé sans remord. Une scène qui s'est sûrement figée dans son esprit et qui a tout emporté. On dit que le temps efface les blessures, qui les a à l'usure. Mais en réalité, il n'y a qu'un voile qui recouvre nos meurtrissures. Ce voile est épais pour Aimy et rien n'atténue.

Cela fait 14 mois qu'elle ne parle plus et que son visage a gardé la même expression de ce dimanche 27 août 2021. Un visage triste, décomposé qui ne transmet plus aucune émotion.

                                                                                      ***

Le chauffard a été retrouvé quelques kilomètres plus loin, alcoolisé, drogué, sa grosse cylindrée dans un peuplier. Il faut croire que l'alcool conserve, il n'a même pas été blessé. En revanche, il doit payer et les parents de Jade se battent pour rendre justice, même si elle ne reviendra pas. Ce crime ne doit pas être impuni pour Jade, pour Aimy et pour tous ceux qui vivent un tel drame.

Après le silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant