Après le silence

Le baiser.

Toutes les deux rivées sur l'écran et fatiguées de leur nuit sans trop de sommeil, elles se sont endormies. À leur réveil, au son du générique, c'est toujours les mains enlacées et les doigts entrecroisés qu'elles ont ouvert un œil. Elles ont un peu de mal à émerger et se sentent un peu gênées de leur position critique ou qui prêterait à confusion. Pour faire taire ce flot d'émotions qui traverse Julia, Aimy se redresse et hausse les épaules.

-Ben...euh...je crois qu'on a sombré, constate Julia.

Aimy hoche la tête et s'attriste de la situation. Elle aurait voulu profiter de la présence de Julia autre que dans la somnolence, mais elle ne regrette pas de se réveiller dans les yeux de Julia. Son visage angelin, fin est une pure beauté et Aimy ne tarde pas à le caresser. Elle fixe ses yeux bleutés aux pupilles dilatées qui virent de couleur à la lueur qui les illumine. Aimy est totalement absorbée, noyée dedans et Julia semble anesthésiée. Aimy entend le cœur de son amie tambouriner et comprend rapidement ce qu'elle ressent à cet instant. Mais peut-elle seulement l'embrasser, goûter ses lèvres sans risquer de la choquer ou de la perdre? Elle n'arrive pourtant pas à se détacher de ce visage de poupée. Julia est paralysée, hypnotisée par le regard d'Aimy qui change à mesure qu'elle la défie. Dans son être, elle aime comme elle redoute les sensations. Elle est comme possédée par un démon intérieur qu'elle ne connaît pas. Elle a peur de ne pouvoir résister plus longtemps. Son corps se met à trembler, des frissons s'invitent à la fête, du froid elle passe au chaud et perd le contrôle dès que la main d'Aimy la frôle. Elle voudrait que ça s'arrête, enlever son haut, seulement pour respirer car elle manque cruellement d'air. Aimy ne peut s'en défaire quand tant de désir se lit dans les yeux de son amie. Elle s'approche, doucement, avec envie dans l'espoir que Julia puisse réagir comme il se doit. Julia ne bouge pas et perd pied quand Aimy lui offre un baiser. Quelques secondes s'écoulent pour réaliser ce qu'il vient de se passer. Julia se lève, paniquée, effrayée par ce qu'elle ne comprend pas. Elle regarde l'heure, s'agite dans la pièce, remet les coussins, referme le PC et évite Aimy avant de lui demander de prévenir son père pour qu'il vienne la chercher.

-Aimy, tu devrais y aller !

Aimy est abasourdie et tente de lui attraper les mains pour qu'elle se calme, qu'elle la regarde et qu'elle lui explique son changement d'attitude. Mais Julia se braque, en vrac, n'ose plus soutenir son regard et sort dans le couloir. Aimy n'a pas l'habitude de voir son amie dans un tel état et difficile de crier, sans voix, pour la stopper. Elle est décomposée devant une Julia qu'elle ne reconnaît pas.

-Mamie, Aimy s'en va !

-Ah? Déjà? Et votre petit café?

-On n'en avait pas envie !

Aimy entoure de ses bras la grand-mère et la resserre plus fort, comme si c'était la dernière fois. Dans un effort surhumain, elle se détache de la grand-mère qui l'embrasse affectueusement.

-Vous avez passé un bon après-midi? dit la mamie innocemment.

-Oui, oui, répond Julia précipitamment.

Aimy quitte la pièce, les yeux rivés sur son amie qui ne se redresse pour ne serait-ce que la saluer. Elle se dirige à l'entrée pour se chausser et enfiler son manteau devant Julia qui lui tournerait presque le dos. Il est inutile qu'elle sorte le carnet de sa poche, Julia n'est plus réceptive aux mots de son amie. Aimy se contentera de lui toucher le bras en guise d'un au revoir plein d'incompréhension et de chagrin. Son père n'est pas là, mais elle l'attendra plus bas, dans le froid.

Quand à Julia, elle va s'enfermer dans sa chambre et sangloter sur le malaise d'une situation, sur le trop plein d'émotions qu'elle ignore. Elle est dépassée, terrorisée par ce qu'elle ressent, ce mélange de sentiments d'amour ou d'amitié. Elle ne sait plus vraiment et culpabilise d'avoir accordé à Aimy de l'embrasser ou de l'aimer. Aimy n'y est pour rien, mais elle n'a pas pu gérer ce trop-plein.

Aimy est rentrée, sans broncher, vidée, attristée. Elle regrette son geste, peut-être mal interprété, démunie, elle craint d'avoir perdu son amie. Elle se blottit dans ses draps, sautera le repas puis s'endormira.