Les résultats.

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La semaine a été éprouvante et suffisamment stressante pour nos deux deux étudiantes. De la même manière qu'elle a commencé, elle s'est déroulée dans les mêmes conditions. Toutes les deux se sont épaulées, regardées, fixées sans jamais se lâcher.

À chaque entrée et sortie d'examen, leurs mains se rejoignent dans un naturel déconcertant. Mais plutôt que d'en discuter, elles vivent seulement le présent. D'ailleurs, pourquoi faut-il toujours mettre des mots sur ce qu'on ressent?

Elles pensent avoir assuré mais ne veulent pas trop s'enthousiasmer au risque de s'écrouler sur un échec.

Il reste une semaine de cours avant les résultats et les vacances, bien méritées. Dehors, les températures sont au plus bas et le froid n'est pas décidé à s'évaporer. Quelques flocons viennent parfois adoucir le regard des deux amies qui se laissent attendrir par la vue du paysage. Elles aiment ce silence que l'hiver emporte sur son passage. Tout est doux, calme, à l'effigie de ces deux âmes.

À la pause de midi, après leur repas, il leur arrive de se tenir devant la grande vitre et d'observer les flocons tombés. Julia est toujours surprise quand Aimy lui prend la main devant ce spectacle, mais elle ne dit rien. Elle estime peut-être que c'est sa façon de partager ou même de lui parler, mais surtout, elle ne veut pas faire de mauvaises interprétations. Son cœur lui, répond autrement, mais elle préfère l'ignorer et se concentrer sur ce que lui offre son amie. Rien n'est plus agréable que de voir évoluer Aimy, moins sauvage, plus épanouie. Elle ne voudrait pas faire de jugement hâtif, mais elle a comme la nette impression que le visage d'Aimy se détend. Il est plus sage de se laisser du temps avant de se faire des illusions.

Malgré l'angoisse qui habite les deux jeunes filles, elles poursuivent leurs heures de cours avec autant de sérieux et de complicité. Elles consacrent, pour le si peu, le temps de midi, à la détente. Aimy dessine, l'oreille branchée à l'écouteur de Julia dont elle n'aurait voulu se passer. Julia s'est habituée au crissement du crayon que son amie déplace avec précision sur sa feuille. Elle aime écouter ce bruit qui s'ajoute à la douceur du piano. Elle ne peut pas relever les yeux de ce qu'elle trouve extrêmement beau et reposant. Julia prend un tel plaisir d'observer son amie qu'elle maudit parfois la reprise des cours. Casser ce moment, lui brise le cœur. Aimy est tellement dans son élément que Julia déteste interrompre l'instant.

Aimy ne peut concevoir son quotidien autrement. La présence de Julia à ses côtés est devenue une habitude dont elle ne peut se passer. Elle sait que sans son amie, elle serait perdue, que les heures n'auraient pas eu la même saveur et qu'elle n'éprouverait pas autant d'attachement à tout ce qu'elle entreprendrait. Julia devenait sa bouteille d'oxygène, son rayon de soleil, sa bouée, sa nouvelle merveille et son ange gardien.

Jeudi. Le lendemain annonce les résultats et les vacances. C'est un peu contrariée que Julia appréhende cette journée. Elle redoute la séparation d'Aimy pour laquelle elle s'est attachée. Une semaine lui semble une éternité et elle souhaiterait inviter son amie à passer quelques heures chez sa grand-mère. À moins qu'Aimy éprouve le contraire et veuille s'isoler. Mais sans lui poser la question, comment le savoir? Ce n'est qu'à la pause de midi que Julia ose enfin.

-Aimy, est-ce-que demain après les cours, tu as quelque chose de prévu? Si non, accepterais-tu de passer un peu de temps avec moi chez ma grand-mère? Histoire de fêter les vacances et...peut-être nos résultats.

Aimy sort vite son petit carnet et s'empresse d'écrire " non, je n'ai rien de prévu et j'en serais ravie".

Julia lui sourit tandis qu'Aimy lui prend la main et lui embrasse les doigts comme pour la remercier de son geste. Julia est toujours stupéfaite de sa spontanéité à laquelle elle ne s'attend pas, mais elle n'en est que plus réjouie et ne demande que ça.

Vendredi. Dans le hall de l'entrée, le personnel d'entretien s'affaire à dresser les panneaux d'affichage. Bien que ce jour reflète aussi bientôt le repos, il n'en reste pas moins qu'on ressent la tension et l'anxiété des étudiants. Julia et Aimy n'échappent pas à cette pression qui vrille leur estomac. Elles ont hâte qu'enfin cesse ce supplice. Mais c'est toujours aussi complices qu'elles agrémentent leur journée.

15h. La fin des cours a sonné, les vacances se profilent mais c'est aussi l'heure des résultats.

-Aimy, tu es prête, on y va?

Aimy acquiesce de la tête et sac à dos, s'empresse de saisir la main de son amie. Elles arpentent les couloirs, bruyants et engorgés et tentent de se faire un passage sans se séparer. La foule et les cris leur donnent un peu le tournis et il leur est difficile de croire qu'elles accéderont aux résultats sans encombres. Mais c'est sans compter sur l'aide de Julia qu'elles arriveront dans le hall de l'entrée. Main dans la main, elles s'approchent et essayent de repérer le tableau concerné. Aimy le distingue et se faufile au travers des étudiants agités. Elles se font bousculer et ça rend dingue Julia qui doit la lâcher. Les épaules serrées, Aimy est propulsée vers le premier rang. Elle est un peu désemparée quand elle ne sent plus la main, ni le souffle de Julia à ses côtés. Elle ne regardera pas les résultats sans Julia alors, elle se retourne, cherchant la chevelure brune au visage coloré. Elle s'agace de ne pas la trouver. Tant pis pour sa place, elle recule jusqu'à retrouver un visage familier. Elle lui attrape la main fortement, bouscule tous ces gens déchainés et enfin scrute toutes les deux les résultats.

Un sourire franc fend le visage de Julia tandis qu'une main se resserre autour de la sienne. Aimy pivote et entoure de ses bras le cou de son amie alors que Julia, les bras ballants, se sent comme une idiote. Un geste pourtant naturel, tendre mais qui chamboule un instant toutes ses pensées et provoque un drôle de sentiment. Un geste éphémère qu'elle a du mal à taire tant il est grand et passionné. Elle finit par accrocher la taille de son amie, la tête sur son épaule et se met à bafouiller un "merci Aimy"   au creux de son oreille. Une larme perle à chacune de leurs yeux. Une larme de joie? Oui, que pouvait il s'agir d'autre? La récompense d'un travail acharné? Oui, mais dans cette étreinte, il y avait plus que cela et Julia le savait. Elle peinait à restreindre ses émotions malgré  la douceur de cette sensation qui l'envahissait. Se décoller de son amie signifiait briser cette saveur qu'elle ressentait et dévoiler toute la pudeur qu'elle cachait. Elles étaient fières d'avoir réussi, ensemble et dans un élan de folie, Julia saisit la main de son amie pour décamper de l'université.

La  grand-mère de Julia se faisait un plaisir de rencontrer Aimy et la gazinière regorgeait encore de petits plats qui n'attendaient que les deux jeunes filles.

Dans le car qui les menait à l'endroit sacré de Julia, celle-ci rassurait Aimy sur sa grand-mère qu'elle adorait. Au fur et à mesure des paroles prononcées, Aimy finit par appuyer la tête sur l'épaule de son amie qui prit une grande inspiration avant de savourer et mettant fin à la discussion.


Après le silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant