Après le silence

La décision.

10 mois qu'Aimy est plongée dans son silence. 10 mois que ses journées s'adressent à Jade et à dessiner. 10 mois que ses parents ne savent plus s'ils doivent espérer.

Aimy a passé des heures à débattre avec Jade dans ce jardin. Elle ne sait plus si c'est bon de se battre ou penser à demain. Elle tend son cœur et sa main vers Jade pour lui demander son chemin. Elle connaît si bien sa petite amie, ses conseils et tout leur destin qu'elles avaient choisi.

Jade n'aurait jamais voulu lire sa tristesse dans ses yeux, n'aurait jamais supporté que sa petite amie sombre dans la détresse. Jade ne veut que son bonheur. Elles se sont promises tant de choses et Jade ne souhaite pas qu'elle avorte tous leurs projets de leur courte vie. Il faut qu'elle ose, qu'elle se surpasse et se rendent fières. Elle veut qu'Aimy croque la vie, à coup de poings, à coup d'écrits ou de dessins. Elle veut qu'elle voyage et qu'elle se sente bien.

Jade est cette jeune fille, pleine de rêves et d'envies dont le soleil éclaire son visage. Oui elle est solaire et brillait pour Aimy. Il n'y avait jamais rien de compliqué, juste un bon dosage d'amitié sensée. Jade était cette lumière qui traverse tous les âges, et qui vous éclaire quand tout semble perdu. Aimy a perdu sa lumière, mais chaque jour, elle va la chercher, lui parler. Jade l'oblige à se confier, à puiser au fond d'elle les réponses qu'elle vient à se poser. Parfois Aimy les ignore mais elle sait que Jade n'a pas tort. C'est une bataille dans son esprit qui la tord chaque fois qu'elle doit reprendre un semblant de vie. Ça la tiraille d'abandonner et à la fois continuer à étudier.

il suffirait juste que Jade vienne l'embrasser, l'enlacer et lui murmurer ce "je t'aime" tant de fois prononcé. Qu'elle la convainc de se jeter corps et âme dans les livres plutôt que se réfugier dans ce drame. Elle voudrait tant encore de Jade. Sa chaleur dans le creux de ses bras, le réconfort dans sa voix, la douceur de ses caresses sur son corps noué de stress. Elle voudrait tant encore...

Ce n'est pas encore gagné pour Aimy qui se torture devant cette urne, sans demie mesure. Les mots ont du mal de suffire dans ce jardin des souvenirs. La tête baissée, elle imagine Jade à ses côtés en train de lui souffler toutes les blessures dont elle doit échapper. Elle sourit à l'intérieur de voir sa petite amie avec autant d'énergie. Elle panse sa douleur aux envies de Jade même si son allure reste toujours aussi blafarde. Ce n'est pas en terrain conquis que demain elle croquera la vie.

Mais Jade lui a déjà promis qu'elle serait là et qu'elle respecterait ses choix. Aimy a tant de mal de franchir ce pas malgré toutes les tentatives de Jade. Elle reste dubitative quant à ses exploits. À deux, c'était mieux. Elles avaient le courage, la force et la rage. Aujourd'hui, seule, Aimy n'est plus sûre de ce présage. Jade lui en persuade à travers ses qualités, à travers les souvenirs qu'elles se sont laissées. Mais Aimy ne se précipite pas. Ce saut dans le vide ressemble à ce précipice qu'elle ne maîtrise pas.

Demain, elle reviendra auprès de Jade car il se fait tard. Elle ne voudrait pas être en retard pour le repas. Ses parents sont là à son arrivée, mais ne demande rien de sa journée car ils savent que trop bien.

Sa mère s'active dans la cuisine tandis qu'Aimy met la table. Sa mère se parle dans un discours peu compréhensible, seulement pour combler ce vide. Aimy ne relève pas car elle sait qu'il n'y a rien à faire pour satisfaire sa mère. Son père, lui, lit le journal dans le canapé pour oublier que rien ne diffère. Ils s'installent après l'appel de la cuisinière. La conversation ne se fait plus autour de l'enfant mais autour de leur lieu de prédilection. Ils se racontent leur journée passée, les obligations et se posent des questions à quel moment ils vont pouvoir se poser. Aimy est là, fourchette à la main mais bien trop loin d'un discours trop stérile. Elle se lève, débarrasse mais sa mère lui fait savoir que c'est inutile. Aimy comprend que cette dernière préfère la solitude plutôt que de côtoyer le quotidien rempli d'habitudes trop lourdes à supporter. Aimy ne se vexe pas et regagne sa chambre, là où elle se sent bien, là où tout lui rappelle Jade, là où elles se sont tant aimées.

Sac au dos, Aimy ferme la porte d'entrée. Elle croisera quelques usagers qui s'indigneront de son désarroi. Mais toujours tête baissée, elle continue de marcher aux portes de son paradis. Jade l'attend et espère encore la faire changer d'avis. Aimy en a besoin.

Elle se triture le cerveau, mâchouille son stylo et implore Jade de son air idiot. Jade, derrière son rideau lui envoie quelques signaux. Il lui suffit de regarder le dessin entre ses mains pour comprendre que Jade la soutient. Elle se penche sur une petite branche à ses pieds et s'épanche sur la longue liste de dossiers. Jade rit de son hésitation car elle sait déjà qu'elle sera son orientation. Le cœur de plus en plus léger, Aimy rit aussi de l'intérieur. Inutile de chercher plus loin, elle optera pour ce qu'elles avaient décidé. Aimy se réjouit de ne pas renoncer et faire plaisir à sa petite amie. Elle remercie Jade assurément, lentement, puis se hâte de rentrer à la maison. Elle pianote sur son ordinateur et s'agace de sa lenteur. Elle trouve péniblement le fruit de ses recherches et note toutes les adresses puis s'inscrit. Elle s'étonne de sa réaction, mais se cantonne aux décisions qu'elles avaient prise.

Dans le petit carnet qu'Aimy trimballe dans sa poche, elle y note un mot pour ses parents "je me suis inscrite à la fac de langue pour octobre". Elle n'attend pas vraiment de soupirs ou de joie, elle veut juste les avertir. C'est une fois qu'ils sont rentrés, qu'elle arrache la feuille du petit carnet et le glisse sur la table. La mère l'empoigne et appelle son mari. Ils se regardent surpris et acquiescent. Ils réfléchiront plus tard à l'abri du regard d'Aimy. Ils sont mitigés sur la proposition bien que ça pourrait être la solution. Il restera le problème de l'organisation, du transport mais Aimy ne manquera pas de leur donner les indications. Ce n'est pas sans appréhension que les parents d'Aimy acceptent. 10 mois sans se retrouver au contact des autres peut être un gros contraste et s'avérer difficile à supporter. Mais Aimy a fait son choix et ses parents seront là.