Au-delà de la crainte.

92 14 0
                                    

Julia s'est réveillée tôt ce matin, anéantie par le manque de nouvelles de son amie. Pas une sonnerie, pas un appel, pas une notification sur l'écran désespérément vide. Les yeux encore rougis par les pleurs et son insomnie, elle part boire un café. Elle est livide et accuse ses déboires d'hier soir.

-Bonjour ma Chérie. Alors comment vas-tu?

-Bonjour Mamie et...je crois que j'ai tout gâché !

-Pourquoi tu dis ça? Tu lui as écrit?

-Oui, mais je n'ai pas de nouvelles.

-Il est encore très tôt, laisse lui du temps. Aimy n'est pas une mauvaise fille, elle est intelligente.

-Oh oui je sais ! Mais je sais aussi que ça fait mal la manière dont je l'ai blessé et je n'arrive pas à me pardonner car elle ne méritait pas ça.

-Que vas-tu faire aujourd'hui?

-Dormir pour ne pas souffrir !

La grand-mère comprend sa tristesse et sait qu'elle ne peut rien y faire, mais elle est fière de sa petite fille, de son altruisme plutôt qu'y déceler de l'égoïsme.

-Tu devrais peut-être aller t'habiller et prendre l'air.

-Mamie...j'en ai pas envie. Il fait froid et tu voudrais que j'aille où?

-Seulement marcher ma Chérie...

-Je ne vois en quoi marcher pour aller nulle part me fera me sentir mieux, Mamie.

-Parfois, il est bon de respirer, de changer d'endroit, de croiser d'autres gens pour se soulager.

-Merci Mamie. Je sais que tu fais tout ce qu'il faut pour m'aider, mais je suis désolée, je n'ai pas envie de ça.

-Très bien, comme tu voudras ma Chérie et si tu as besoin, je suis là.

-Je sais Mamie. Merci.

Julia entoure ses bras à la taille de sa grand-mère et l'embrasse, le temps d'un câlin, puis repart pour la salle de bain. Elle n'a pas le cœur de se maquiller ou même de se mettre en valeur. Elle enfile seulement un vieux survêtement noir et un vieux sweat à capuche de la même couleur. Elle laissera ses chaînes et ses bijoux sur son chevet et ne gardera que ses bracelets en cuir. Aucun artifice aujourd'hui pour dissimuler et fuir ce qu'elle ressent. Ses pensées sont pour son amie, pour la douleur qu'elle lui a fait subir. Elle a besoin d'évacuer. Les heures qui passent lui déchire le cœur sur un écran vide, sans message. Elle s'endormira en fin de matinée après qu'elle ait versé des perles d'eau salée, les yeux rivés sur un écran désespérément noir, sans luminosité.

Aimy a mal dormi. Les cauchemars se sont immiscés toute la nuit sans doute à cause de ce départ précipité. Elle ne fait que réfléchir, se répéter la scène et s'en veut d'avoir provoqué autant de gêne. Il lui semble pourtant ne pas avoir rêvé lorsqu'elle a senti le cœur de son amie s'emballer et son regard s'illuminer. Aimy finit par douter de son interprétation. "Julia cherchait peut-être et seulement une quelconque compréhension par mes gestes. Et moi, j'ai tout précipité, je me déteste

Aimy ne peut pas rester sur des "a priori" et se torturer davantage l'esprit. Elle ne conçoit pas de perdre son amie, si belle et si sauvage. Si seulement elle retrouvait sa voix pour savoir comment la réconforter et simplement lui demander pourquoi. Tout est si compliqué pour ne serait-ce qu'un échange. Les mots ne sortent jamais en temps voulu et cela la dérange de ne pas pouvoir crier quand enfin elle a jeté son dévolu pour cette si merveilleuse inconnue. Aimy garde espoir car il est inconcevable de laisser cette situation sans explication.

En fin de matinée, Aimy se souvient de son portable qu'elle n'a pas sorti de son sac à main. Peut-être que Julia lui aura écrit et elle se sent si bête de ne pas y avoir réfléchi plus tôt. Elle déverrouille l'écran, assise à son bureau, la trouille au ventre, le dessin d'une bulle, elle patiente. Elle se tient la tête, appuie avec son pouce pour voir enfin apparaître la cause de ses tourments. Elle pousse sa curiosité en faisant défiler les excuses et les phrases de son amie, dont elle était loin de s'imaginer. Elle ne s'était pas trompée mais ce n'est pas ce qui l'inquiète. Dans la tête de son amie, ça doit ressembler à une véritable tempête et il est plus convenable d'aller lui parler, l'apprivoiser. Aimy doit la rassurer et se faire aussi pardonner d'avoir été trop loin sans jamais en avoir discuté. Ce petit ange aux ailes de satin, bien qu'obscur, est bien trop pur pour noyer ses yeux bleus de chagrin. Si seulement elle avait su que goûter la douceur de ses lèvres la mettrait dans cet état, elle ne se serait pas permise de les effleurer. Tout comme Julia, il lui est difficile de regretter mais inadmissible d'offrir un baiser sans un échange verbal avant de concrétiser. Et pire encore, bien que banal, sans connaître son autre. Aimy ne peut pas rester les bras croisés et c'est bien trop long pour lui composer un courrier. Pour une fois, elle va foncer sans la moindre hésitation et tant pis si elle doit forcer le mur de béton, elle ne perdra pas son amie, pas comme ça, pas aujourd'hui.

Après le silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant