L'épreuve de la bénédiction

Ilias vs Albafica

Le jardin des roses empoisonnées était un lieu isolé au sein du Sanctuaire et seuls les chevaliers des Poissons et leurs apprentis s'y aventuraient, ou même y vivaient. À cause de la dangerosité et de la toxicité des fleurs et du parfum qui se répandait en permanence dans l'air. Un poison qui pouvait mettre à terre, voire tuer les guerriers les plus puissants d'Athéna. Et depuis toujours, les derniers gardiens d'Or, à cause de leurs affinités avec cette nature mortelle, s'étaient volontairement écartés du reste de l'armée, préférant agir seuls, et refusant absolument tout contact avec un autre et même la déesse qu'ils devaient protéger.

L'on disait que la solitude faisait partie intégrante de leur nature, mais l'intrus qui s'apprêtait à profaner cet endroit savait que c'était faux. Les chevaliers des Poissons, aussi puissants fussent-ils, recherchaient le contact de leurs camarades. Il ne le savait que trop bien, et garderait toujours en mémoire ce moment où l'un des siens fut autorisé à prendre dans ses bras un ami mourant et que jusque là il ne pouvait pas l'étreindre. Cette scène à laquelle il avait assistée restait à tout jamais gravée en lui, autant le Scorpion pris d'une telle folie au point de trahir les siens, et surtout le Poisson, de chaudes larmes coulant sur son visage, mêlées au sang, qui serrait le corps tout contre lui.

Ilias, lui, était comme immunisé. Il était non seulement un des chevaliers les plus forts, les plus grands de son époque, mais ses affinités avec la nature lui permettaient d'approcher et le jardin et ses gardiens sans crainte d'être intoxiqué. Il savait écouter son entourage, le vent, les plantes, même les animaux, et leur vouait un respect sans borne. Pour lui, vivre avec la nature qui leur offrait le droit d'utiliser les éléments, en toute bienveillance était primordial. Il comprenait chaque élément et faisait tout pour vivre en paix avec son environnement. Il avait appris à communiquer avec ces roses maléfiques, et leur prouver qu'il ne leur était pas hostile. Au furet à mesure il s'était également rapproché de leur maitre, et lui apporter son soutien dans la perte de leur ami Zaphiri. Peu à peu, ils avaient tissé des liens bien plus forts que l'amitié. Même s'ils étaient des hommes. Même si Ilias lui même avait un petit garçon qu'il élevait seul, loin du Sanctuaire. Ce grand Lion avait vraiment tout pour lui... si seulement sa maladie ne l'avait pas affaibli, sans avoir pu être réuni avec son petit frère, son fils, et celui qu'il aimait et son disciple aussi.

Pourtant, il était bien vivant, là maintenant. La clémence des dieux avait permis aux guerriers d'Athéna de revenir sur Terre, d'aspirer à une vie paisible après la guerre. Pour quelle raison?

Dans sa tête, l'ancien Lion était un peu perdu, et pourtant heureux. Il avait retrouvé son frère grandi, un bel homme dont les actions au cours du conflit face à Hadès furent remarquables. L'adolescent plein de vie était devenu le légendaire chevalier du Sagittaire. À ses côtés, son fils, son enfant, le petit Regulus désormais le nouveau chevalier du Lion, dont la puissance du cosmos était palpable, même à leur retour des Enfers.

Quant à lui, Ilias, il redécouvrait tout ce monde autour de lui, cette communion avec la nature qu'il avait toujours en lui et un corps neuf, sans aucun stigmate de sa maladie. Un peu déboussolé avec cette résurrection inattendue, il avançait un peu à l'aveugle dans le domaine sacré, jusqu'à arriver dans ce champ écarlate duquel émanait un parfum doux, sucré et en même temps mortel.

Quand bien même ce paysage était comme enchanté, très peu de personnes ne pouvaient l'admirer sans risquer sa vie. En son milieu, une petite maison aux allures modestes, perdue autour de ces roses rouges. Les volets étaient ouverts, elle n'était donc pas abandonnée.

Le Lion sentait cette fragrance pénétrer ses narines, comme pour l'agresser, mais sans plus. Pas le moindre étourdissement, ni l'envie de tousser. Juste un parfum très fort et dont il n'était plus habitué depuis des années.

Il s'aventura au milieu des fleurs, marchant lentement, et prenant soin de ne pas les abimer. Il n'y avait pas de chemin distinct, donc à lui de faire attention et de ne pas offenser la végétation.

Il se retint d'un coup d'écraser une rose au moment où une voix brisa le silence.

« Seigneur Ilias!! Que faites-vous ici?!

C'était Albafica, l'actuel chevalier des Poissons et disciple de Lugonis, son ami, qui l'interpela, en sortant de la maison. Il avait grandi lui aussi, mais la douceur demeurait autant dans ses grands yeux et sa voix. Quand bien même il sentait un immense cosmos en lui.

-Albafica, bonjour, répondit-il simplement

-Vous ne devriez pas être là, fit le plus jeune. Ce jardin est interdit aux habitants du Sanctuaire, même à notre déesse. Pour la sécurité de tous, et même la vôtre.

-Je le sais, Albafica, mais je suis déjà venu ici bien des fois, et j'en suis revenu toujours en vie.

-Quand même je... je ne pourrais accepter qu'un chevalier tel que vous, qui comme nous tous a eu le privilège de revenir en vie, se blesse ou souffre à cause des roses démoniaques. Je vous en supplie Seigneur Ilias, je serais bien plus rassuré de vous voir hors du champ de fleurs. Pour votre santé et... pour ne pas causer du souci à mon maitre également.

-Lugonis est là?

-Oui. Il s'apprêtait à venir vous voir. Il est dans notre maison, mais je suis sorti avant lui en sentant votre présence.

-Je peux l'attendre avec toi?

-Pardonnez-moi encore, mais... je préfèrerais que vous patientiez en dehors du jardin. Encore une fois pour votre bien.

Le Lion posa un regard bienveillant sur le jeune Poisson. Ces paroles tenaient plus de la demande que d'un ordre ferme.

-Tu me dirais la raison pour laquelle tu tiens tant à ce que je m'éloigne de cet endroit... en dehors de ma sécurité bien sur?

Albafica baissa la tête, comme s'il était redevenu un petit garçon honteux. Il revoyait son fils, Regulus quand il faisait des bêtises à l'époque où ils n'étaient que tous les deux.

-Mon maitre me parle souvent de vous, et du fait que vous n'avez pas peur d'être avec lui. Il vous apprécie et me raconte souvent les moments où vous étiez ensemble, en mission ou pas. Il le dit avec tant de douceur que je me rends compte qu'il tient énormément à vous et vous revoir le rend heureux. Alors je sais que le poison qui coule dans nos veines ne vous touche pas, et que notre retour à la vie est une chance à saisir absolument, mais je ne peux m'empêcher de m'inquiéter pour vous. J'aimerais voir mon maitre sourire sincèrement, sans crainte de faire du mal à un de ses compagnons rien qu'en le touchant. Alors je vous le demande, Seigneur Ilias, si vous aimez mon maitre et je n'en doute pas le moins du monde, sortez de ce champ de roses, s'il vous plait. Je ne veux pas voir mon maitre malheureux.

L'ancien chevalier d'Or sourit tendrement. Lugonis avait trouvé un disciple exceptionnel en tous points.

-Merci vraiment de tes paroles, Albafica. Je comprends tes paroles. Tu diras à Lugonis que je l'attendrai sous l'olivier qui se trouve sur le chemin? Il sait de quoi je veux parler.

-Je le lui dirai tout de suite. »

Les deux hommes se saluèrent d'un signe de tête poli, et Ilias repartit direction la terre battue, loin de ce tapis rouge écarlate. Pour la première fois depuis tant d'années, il allait revoir son amour et cette fois ci, rien ne les empêcherait d'être heureux.