VI

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Le soleil est déjà haut dans le ciel lorsque je me réveille. Je me retourne pour voir Emilie, celle-ci dort toujours. Je me dirige vers la salle de bain pour prendre une douche bien chaude avant d'aller préparer le petit déjeuner.

L'eau me fait beaucoup de bien lorsqu'elle rentre en contact avec mon corps, je sens mes muscles crispés se détendre. Je ne peux m'empêcher de retourner dans mes souvenirs de la veille. J'aurais aimé pouvoir faire plus. J'ai un parent dans l'armée, pourtant je suis incapable de me défendre par moi-même. Je suis bien là de mon personnage de jeu vidéo.

Soudainement, des flashs d'hier soir me revienne. Je sens la panique monter. Je nous revois en train de courir, à bout de souffle. Je ne tiens plus debout, je suis obligée de m'asseoir. L'eau chaude me semble soudain brûlante, pourtant je tremble de tout mon être, complètement impuissante face à mes pensées de plus en plus envahissantes.

J'essaie de respirer pour me calmer, en vain. Je ne sais pas combien de temps je reste repliée dans la baignoire, me demandant pourquoi je ne suis pas plus forte.

Quand, enfin, je sens mon coeur battre plus doucement, je coupe l'eau et je me love dans un peignoir, vidée de toutes émotions, l'impression d'être détachée de la réalité.

Je descends dans la cuisine, tel un automate devant accomplir une tâche, afin de faire le petit-déjeuner. Machinalement, je prépare la pâte pour nous faire des pancakes. Tandis que, je retourne un pancake dans une petite casserole, des bruits de pas se font entendre à l'étage. Emilie vient de se lever. Je ne peux pas rester comme ça, elle souffre aussi des événements de la veille. Elle a besoin de mon soutien. Pourtant, je n'arrive pas à revenir pleinement dans la réalité. Je reste loin du monde que nous connaissons tous.

- Des bons pancakes, tu n'aurais pas dû.

Face à l'absence de réponse, elle s'approche de moi et pose une main sur mon épaule. A ce contact, je sens les émotions revenir et des larmes se mettent à couler sur mes joues.

- Qu'est-ce qui se passe ? demande-t-elle en m'enlevant la spatule des mains avant de me prendre dans ses bras.

Je ne réponds pas tout de suite, laissant toute ma peur, ma culpabilité et ma tristesse sortir de mon corps. Après quelques minutes, l'odeur du brûler se fait sentir. Je me concentre dessus, m'aidant à exprimer ce que je ressens.

-J'aurais voulu pouvoir faire plus pour nous, je suis pathétique dans la réalité, incapable de défendre mon amie...

- Tu as super bien réagi, moi je trouve. Tu n'aurais pas pu faire plus.

-Si, j'aurais pu me battre.

- La réalité, ce n'est pas ça. On cherche à survivre et ce n'est pas toujours en se battant qu'on peut le faire. Et puis, j'insiste, j'étais tétanisée, c'est toi qui m'a fait réagir, alors merci, merci d'avoir été là pour moi.

- Désolée...

En entendant ces mots, elle comprend qu'elle ne pourra pas m'apaiser avec des mots, alors elle resserre son étreinte. Après un instant, j'essaie de reprendre mes esprits et lance :

- Bon, c'est pas un pancake qu'on va pouvoir manger ça.

Je m'écarte doucement, récupérant ma spatule pour pouvoir pousser le pancake dans la poubelle. Je jette un coup d'oeil à Emilie, elle a un léger sourire, plein de bienveillance. Je lui réponds aussi avec un sourire, contente de l'avoir avec moi.

Nous dégustons nos pancakes recouvert de sirop d'érable quand je décide qu'après tout ça, on ne devrait pas garder de secrets l'une pour l'autre. Donc, je lui explique que j'ai reçu un colis avec un casque dedans permettant de se rendre dans un monde virtuel où tout est possible. Elle ne doute pas un instant de mes propos, sachant pertinemment que je ne suis pas du genre à inventer une histoire pareille. Elle évoque le fait que pour elle, le fait que j'ai été choisi parait logique.

- Tu dis ça parce que tu es mon amie.

- Ca ne m'empêche pas de le penser sincèrement.

Un peu plus tard dans la matinée, je lui montre le casque. Elle semble surprise, caressant la bordure en métal froid. Je lui propose de l'essayer. Elle hésite légèrement avant d'accepter. Je l'aide à l'enfiler et l'incite à s'allonger confortablement sur le lit. Elle s'exécute et me demande comment on l'allume. Elle écoute attentivement mes explications puis se plonge dans le monde virtuel. Elle reste inherte un moment.

A son retour, elle me raconte tout, notamment ses difficultés. Elle explique d'abord que ça lui a fait bizarre d'intégrer un avatar différent de son corps. Elle n'a pas eu de mal à se déplacer, mais elle a eu des difficultés à modifier son environnement et à créer des objets, tous ses essais ont été infructueux. Je reste assez étonnée, n'ayant pas eu ce genre de problèmes.

Au fil de notre discussion, je comprends que le choix de l'entreprise était justifié, même si je ne saisis pas ce qui me rends différente des autres. En tout cas, Emilie ne manque pas de souligner le fait qu'elle avait raison. Nous rions de bon coeur.

Elle me demande s'il y a une solution pour qu'elle puisse voir comment j'évolue dans ce monde virtuel, à défaut de pouvoir y aller ensemble. Je pense pouvoir lancer un live privé. J'ouvre ma chaîne sur mon ordinateur, elle s'installe devant celui-ci. Je lui explique qu'il faudra seulement qu'elle rafraichisse la page d'ici quelques minutes.

Je m'installe sur le lit pour me plonger dans ce monde sans risquer de tomber, c'est-à-dire comme je le fais à chaque fois. Il ne me faut pas longtemps pour prendre mes marques. J'imagine une petite caméra capable de voler afin qu'elle puisse me suivre pendant que j'évolue dans l'espace, comme je le ferais pour un vlog mais sans avoir besoin de tenir la caméra. Instinctivement, je la connecte en direct à mes réseaux sociaux et j'ouvre une fenêtre de dialogue pour signaler à mon amie que le live devrait être lancé. Je lui montre tout ce qu'elle a déjà vu mais aussi comment j'arrive à modifier comme je le souhaite mon environnement. Je lui partage ce que j'ai découvert jusqu'à maintenant.

Elle me parle via la boîte de dialogue. Elle est assez impressionnée, me rappelant les difficultés qu'elle a rencontrée. Peut-être qu'un jour, il y aura des modèles suffisamment perfectionnés pour qu'elle puisse en faire autant.

Quand je reviens, nous finissons notre week-end comme nous le faisons toujours à manger des gateaux et des bonbons, en jouant à des jeux de sociétés, et en regardant des films. J'apprécie tous ces moments qu'on passe ensemble, car malgré tout, je suis souvent seule avec moi-même dans cette grande maison. Rien ne remplace la présence réelle d'une personne. C'est ce qui fait vivre une maison et que je n'ai presque jamais connu. Alors je profite de chacun de ces moments. 

MIKO.A Où les histoires vivent. Découvrez maintenant