8. Mya Anderson

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Don't stop me now ! Having a good time, having a good-

Mya avait soupiré.

L'histoire derrière cette sonnerie de téléphone pour se réveiller, chaque jour à six heures trente du matin précises, était beaucoup plus triste que la musique en elle-même.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ses parents n'étaient pas juste un coup d'un soir où ils avaient oublié de se protéger. Non, loin de là.

Quand elle était au collège, June Anderson avait emménagé en France. Elle était née aux États-Unis, à Los Angeles, le summum du chic (ce qui faisait de Mya une franco-américaine). Toute son école l'admirait à cause de ça. Ils n'avaient aucune idée de sa situation financière, et s'ils le savaient, ils n'auraient sans doute pas fait tant d'efforts pour se lier à June. Cela lui importait peu : tant qu'elle pouvait chanter, elle ne se sentirait pas seule. Elle mangeait pour chanter. Elle buvait pour chanter. Elle sortait pour chanter. Elle parlait pour chanter. Elle travaillait pour chanter. Elle respirait pour chanter.

Elle vivait pour chanter, comme sa fille.

Mais il n'y avait pas de reine sans roi. June Anderson régnait sur son collège, à cause de son argent et de ses écoeurants faux sourires, mais Loan Tessard, lui, était populaire grâce à ses poings, qui terrifiaient tous ceux qu'il rencontrait, et se mangeaient la gueule de tous ceux qui osaient le contrarier. Si June était la reine du bahut, Loan en était le roi.

Évidemment, tout le monde rêvait de les voir se mettre ensemble, alors qu'ils avaient dû s'adresser la parole à peine une fois dans leur vie pour se demander une copie simple ou un blanco.

Éventuellement, un jour, elle était allée voir Loan, et elle lui avait dit "Je veux bien faire semblant de sortir avec toi si tu dis à tes clébards de ne plus jamais approcher les miens d'un seul pouce."

Toujours avoir l'air en confiance, la tête et le dos droit, c'était son mantra, qu'elle se répétait sans cesse. En tout cas, c'était comme ça qu'elle l'avait raconté à sa fille.

La mère de Mya se préparait à se prendre un bâche d'une immensité sans pareille, quand Loan avait répondu d'un simple "OK."

Ils avaient donc entrepris de faire semblant de sortir ensemble pendant sept mois.

Ce n'était pas très compliqué : un baiser avant d'aller en classe, un baiser au moment d'en sortir, et le tour était joué. Mais forcément, quand tu fais semblant pendant si longtemps, des liens se créent. Loan et June organisaient des faux dates, avaient fait les présentations à la famille, allaient chez l'un ou chez l'autre. Très rapidement, ils étaient devenus meilleurs amis.

Et puis, le bal de fin d'année. Ils avaient dansé ensemble sur Don't stop me now de Queen, tout le monde les regardaient, et ils avaient été roi et reine du bal, comme ils avaient été reine et roi de l'école pendant si longtemps. June l'avait tant répété à Mya, c'était le meilleur jour de sa vie. Meilleur encore que sa naissance, ou celle de Théo. Mya n'était pas étonnée, quand elle lui avait dit. Après tout, aucune femme ne devait être heureuse d'avoir mis au monde une erreur, pas vrai ?

Loan n'était pas comme il le paraissait, June ne l'était pas non plus, et c'est ce qui les rapprochait. Au bout de ces sept mois, ils avaient prétendu à une séparation, épuisés de jouer un rôle, mais avaient prétendus être restés bons amis. Ils ne s'étaient jamais lâchés.

À vingt ans, la jeune femme avait rencontré Paul. Loan n'avait de cesse de lui répéter qu'il pensait que ce Paul était une mauvaise personne, mais elle ne l'écoutait pas, persuadée qu'il était simplement jaloux de voir sa meilleure amie se rapprocher de quelqu'un d'autre. Elle avait couché avec lui, il s'était barré le lendemain. Elle avait beaucoup pleuré. Au bout de huit mois, quand avaient commencé des contractions prématurées, June avait dû se rendre à l'évidence : elle était enceinte, et avait fait un déni de grossesse. À vingt ans, June Anderson s'était retrouvée enceinte, Paul ne l'avait plus jamais recontactée, et elle avait l'impression de ne pouvoir s'en prendre qu'à elle-même.

Âmes Perdues | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant