Âmes Perdues | TERMINÉE

22. Sarah Elsher

Sarah n'avait jamais été le genre de fille à pleurer.

Un jour, elle avait entendu son père crier sur son frère. Son père était bourré, son frère venait de se faire tabasser par ses harceleurs, et leur père lui avait dit "les garçons ne pleurent pas, c'est réservé aux filles".

Il avait foutu une claque à son frère, et il avait pleuré encore plus. Elle était pétrifiée, sans savoir quoi faire. Ça lui arrivait tout le temps, quand elle avait peur, ne plus réussir à bouger et ne rien pouvoir faire. Si elle était une héroïne de roman, elle ne devait pas en être une particulièrement héroïque.

Après ça, son frère était monté dans sa chambre. Sarah avait envoyé un regard mauvais à leur père et avait suivi Jonas.

— The Promised Neverland, avait-elle d'abord dit.

Il avait esquissé un faible sourire et elle s'était assise à côté de lui sur son lit.

— Tu es d'accord avec papa ? Avait-il demandé. Je n'ai pas le droit de pleurer parce que je suis un garçon ?
— Il dit n'importe quoi. Pourquoi ces gars t'ont tabassé ?
— Parce que je suis gay.

Sa soeur avait des doutes, mais c'était la première fois qu'il les confirmait.

— Mais quels connards.
— Tu t'en fous que je sois gay ?
— Jonas, je suis bisexuelle, avait-elle dit. Et tu sais comme je suis amoureuse de Mya.
— Je sais pas, je me disais que tu serais au moins surprise.
— Non. Arrête de changer de sujet et donne moi leurs noms.

Sarah détestait cette manie que Jonas avait de toujours dériver le sujet sur elle quand une conversation à propos de lui devenait trop risquée. Ça le rendait particulièrement secret, comme mec, et pourtant il n'était qu'en CM2. Elle le trouvait tellement mature pour son âge. Elle ne l'était pas autant, à dix ans.

— Ils s'appelaient Yann, Yohan et Pacôme. Je ne connais pas leurs noms de famille.

L'adolescente avait passé un bras autour de l'épaule de son frère et l'avait attiré contre elle.

— Si jamais ils te frappent une fois. S'ils t'insultent une fois. S'ils te parlent mal une fois. La première chose que tu fais, c'est venir me le dire, d'accord ? Et je viendrai leur foutre mon poing dans la gueule. Je suis pas douée à beaucoup de choses, mais je suis douée à la bagarre.
— D'accord.
— Et tu peux pleurer autant que tu veux.
— C'est vrai ?

Sarah avait soupiré.

— On va faire un pacte. Puisque les garçons ne doivent pas pleurer mais que les filles si, on va échanger nos rôles. Tu peux pleurer autant que tu veux, quand tu veux. Ne te restreins jamais. Et moi, je ne vais plus jamais pleurer.

Il avait hoché la tête, et, les quatre années qui avaient suivies, Sarah n'avait jamais pleuré. Elle n'avait pas pleuré quand sa meilleure amie l'avait abandonnée, elle n'avait pas pleuré quand sa meilleure amie l'avait harcelée, elle n'avait pas pleuré en voyant sa meilleure amie embrasser un autre, elle n'avait pas pleuré en se disputant avec son frère, elle n'avait pas pleuré en frappant le frère de Mya.

Mais, c'était trop. Elle avait pleuré quand Mya l'avait clairement rejeté l'autre jour, et maintenant elle pleurait à nouveau à cause de Mya, seulement pas pour les mêmes raisons. Et elle se détestait de ne pas avoir réussi à tenir la promesse qu'elle avait faite à son frère. Elle avait l'impression de ne pas être elle. Sarah Elsher ne pleurait pas.

Mais Mya brisait toutes ses barrières.

Alors quand, ce matin-là, Mya était arrivée en pleurs, des bleus partout sur le corps, elle n'avait pas pu se retenir et avait fondu en larmes, alors que ce n'était même pas son problème, c'était celui de sa copine. Mais ça lui faisait trop mal, de voir qu'elle avait mal, justement.