Chapitre 6 : La guilde des Marchands

26 2 0
                                    

Être marchand itinérant à Greyson de nos jours ce n'était pas une situation vraiment enviable, c'était une activité éprouvante, pénible, harassante même certains diront. Pourtant, ici-bas, dans les hautes terres de Greyson, c'était une occupation plutôt commune de traverser les étendus infiniment vertes et fleurissante des landes. Les paysages lumineux de ces lieux étaient certes chatoyants et éclatants, il n'en demeurait pas moins que les parcourir de bout en bout des semaines durant était quelque chose de particulièrement éreintant. Et pourtant, c'était à cette activité-là que s'adonnait le bon Ernest Le-breuil. Originaire du bourg de Val-de-Brey, il n'avait d'autre choix que de se réduire à cette tâche ingrate après que le patriarche de la maison s'était endetté aux jeux d'argent il y a de cela un certain temps. Une mauvaise main au tir-bristole, et c'était une décennie d'économie qui s'était envolée... Quoiqu'il en soit, il fallait bien que quelqu'un fasse rentrer de l'argent au foyer, et c'était donc le fils aîné de la famille qui devait s'y coller. Enfin... Seul fils de la famille désormais... Car l'an passé Andry s'était fait une joie de disparaître de ce monde en se faisant happer au travers d'un glorieux combat face à ... On ne saurait quoi... Mais toucher sa croûte en tant que marchand itinérant c'était plutôt aléatoire, ça dépendait surtout de l'endroit et des clients ainsi que des pourboires que ces derniers daignaient laisser. Parfois, on avait de la chance, on tombait sur des âmes charitables, parfois un peu moins comme aujourd'hui où le chaland du trajet n'avait daigné lâcher le moindre pourboire. C'était pourtant un vagabond fort aisé qui avait sollicité les compétences d'Ernest, mais ce dernier semblait fort lent aux yeux de son commanditaire. Il reçut trois pièces de bronzes et des genoux en bouillie pour sa course. Cela restait plus que la moyenne d'une course par jour autant sur l'aspect financier que sur l'aspect médical, mais demeurait tout de même vraiment peu (surtout du point de vue financier). Être marchand itinérant c'est avant tout de l'abnégation, de la patience, de la résilience et de la fibre social, autant de compétence réunis pour forger une réelle relation avec le client. C'est du moins comme ça que l'on a vendu cette profession à ce cher Ernest lorsqu'il rejoint la guilde. Pourtant, en le regardant de plus près, c'était évident que ce n'était pas un travail pour lui. Il est requis d'être endurant et athlétique pour exécuter une telle tâche, là où Ernest est plutôt pantelant et sujet à l'embonpoint. De plus, le gaillard n'avait rien de résiliant, c'est plutôt un fieffé maladroit et un empoté osons nous le dire. Patient ? Oui sûrement il l'était, pensons-nous que beaucoup d'autre aurait déjà succombé à l'envi de se retourner contre leur commanditaire dans certaines situations... Quant à la fibre sociale, disons qu'Ernest était quelqu'un de gentil... En bref, nous ne dépeignons pas là un portrait vraiment très avantageux, pourtant Ernest s'accrochait et continuait cette tare bien qu'elle l'affublait d'un mal de dos jour après jour. C'était loin d'être par plaisir que le bon monsieur s'adonnait à marchand itinérant, mais comme on l'a dit, il était trop gentil. Cela ne lui empêchait guère de garder la tête froide et de continuer de rêver. Un jour, peut-être, il pourrait quitter les landes et vagabonder ailleurs ! En effet, la guilde des marchands était plutôt riche, très riche en fait ! Et beaucoup de ses membres étaient fort aisés mais que voulez-vous, les landes sont bien trop vastes. Devenir riche ici, c'était compliqué, il fallait trouver des clients osant s'aventurer ici et cela se raréfiait. Mais bon ! Ne sait-on jamais ! Se disait Ernest. Peut-être qu'un jour, il pourra...

— Eh ! Eh oh ! Il faut se réveiller ! s'exclama Orax qui claquait des doigts sous le nez d'Ernest.

— Hein ? Oui ? se réveilla enfin ce dernier qui demeurait ici debout en plein milieu du chemin, figé comme un saule.

— C'est moi ! Orax !

— Oh ! Orax ! Semblait s'enthousiasmer avec effort le drôle de gars.

Ernest était pour le moins original, on aurait dit un sac de sable vivant. Impossible de deviner son âge, on sentait qu'il n'était pas vraiment vieux, mais pourtant, il ne semblait pas doté d'une grande et vigoureuse jeunesse. Il avait les yeux auréolés de cernes et semblait à moitié endormi, ses traits étaient tout aussi apathique que lui. C'est bien simple, tout semblait tomber vers le bas chez lui ! Rien que de le regarder donnait l'envie de bâiller. Il avait la peau cuite à force de courir sans arrêt à travers les landes. Il portait cependant très bien le bouc ! Ça lui allait comme un charme ! Il était coiffé d'un gros chapeau pointu couleur verte feuille qui était pourvu de tout un tas de bricoles qui en pendait ci et là comme des chaînettes, des montres, des clefs et d'autre bidules en ferraille. Il transportait sur ses épaules un immense sac en cuir ! Plus grand que lui encore et semblant très lourd, si bien que le pauvre bougre était totalement courbé sous son poids. De ces innombrables poches en vomissait des objets plus inutiles les uns que les autres. C'était une véritable cachette à babiole en tout genre.

— Orax, s'exclama Perceban, qui est cet homme ?

— C'est mon vieil ami Ernest ! Répondit simplement Orax avec un grand sourire tandis que le bougre à côté de lui restait platonique. Je l'ai rencontré il y a de cela plusieurs années ici même, il m'a aidé pas mal de fois à vrai dire.

— Il s'est endormi ? constata interloqué Thomast.

Le bon chapeau pointu semblait piquer du nez en effet, et sa tête se balançait de haut en bas... d'abord en bas, lentement, comme si les files qui la retenait se détachaient un à un, puis d'un seul coup elle revenait vers le haut, comme si on lui avait jeté un seau d'eau glacé.

— Il est un peu étourdi. repris Orax. Mais il est fiable croyez-moi !

— Fiable pour ? demanda Perceban.

— Ernest est un éminent membre de la guilde des marchands ! Il va nous aider à nous dépatouiller de notre situation financière pour le moins problématique.

— Comment vas-tu mon bon Orax ? réagit enfin Ernest.

— Je vais très bien mon bon Ernest, et toi ?

— Oui fort bien, merci de demander.

— Je vois mal comment un membre de la guilde des marchands pourrait nous aider, nous n'avons rien à vendre ! répliqua Perceban.

— Oui ! Et c'est là que notre bon ami Ernest va nous être utile ! Ernest accepte les prêts !

— Les prêts ? On va demander un prêt à la guilde des marchands ? s'indigna Perceban. C'est une très, très, très mauvaise idée !

— Ne vous inquiétez pas ! Ernest est fiable ! Je le connais depuis longtemps !

— Ça, c'est très joli ! se réveilla Ernest qui tendit sa main à proximité de l'écharpe de Perceban. Laine blanche de Nëfer ! Je vous en fais dix milles Tarmoires !

— Non hors de question ! répliqua sauvagement Perceban. Orax, ce n'est jamais une bonne idée de faire un prêt à la guilde des marchands. Ils ne vont jamais nous lâcher ensuite et nous n'aurons jamais assez pour tout leur rembourser.

— Dix milles Tarmoires ! explosa Orax qui ne prêta nullement attention aux paroles du jeune mage. Perceban ! Vite ! Donne-lui ton écharpe !

— Non !

— Mon oncle a un jour fait un prêt à la guilde des marchands. Lança Thomast, le regard plongé dans le vide. Je ne suis pas sûre de l'avoir revu depuis...

— Je sais ce que je fais ! Ernest ! Nous avons besoin de toi !

Ni une ni deux, bon peut être avec quelques lenteurs car Ernest aimait trainer la patte, tout ce bon monde se retrouva au foyer du commerce de la ville. Il s'agissait d'une petite case, présente dans certaines villes, qui sert de lieux de transaction entre les marchands et leur client. On les reconnaissait parmi tant d'autre grâce à son enseigne représentant un coffre au trésor remplit à en déborder de pièce d'or, mais aussi, car, de dehors, on pouvait déjà entendre résonner le brouhaha ronflant qui en émanait. Des bonhommes comme Ernest, il y en avait des tonnes dans ce minuscule endroit cloisonné et boursoufflé de paperasse et de bureaux ! Ils avaient tous le même chapeau pointu, mais avec à chaque fois des babioles, bien à eux, plus ou moins exotique qui en pendouillaient. Le foyer du commerce était bondé à ras bord, ci et de là, de parchemins gribouillées, de contrats volant, de livres de comptes empilés les uns sur les autres à en atteindre le plafond. Le lieu était plongé dans une cacophonie tonitruante de sonnettes, de grincement de crayons et de bruit de touche de machine à écrire. "Dring dring" pouvait-on entendre résonner à peu près toutes les secondes. Entre deux piles de grimoires, Ernest put s'installer sur une sorte de pupitre qui bavait d'encre et si taché que la couleur du bois avait presque entièrement disparu. Il sortit de sous ce même pupitre une grosse machine mécanique bistournée en bronze avec de nombreuses manivelles tordues. Il y inséra une feuille de papier et énuméra tout en tapant sur sa grossière machine :

— Bien, nous avons donc bien une chambre pour trois pendant une nuit, trois repas chaud, trois déjeuners, trois petits déjeuners, trois seconds petits déjeuners, une bourses de quinze milles Tarmoires et deux cent cinquante Crecelles pour le voyages, l'équipement, la nourriture ainsi que les breuvages. 

— Oui, c'est exactement cela ! confirma Orax.

— Mais nous n'avions besoin que neuf cents Tarmoires ! scanda catastropher Perceban.

— Oh non, c'est une grosse erreur ! paniqua Thomast.

— Fort bien ! s'écria Ernest qui abaissa l'une des manivelles, tapa encore quelques mot, en abaissa une seconde et en ressortie le contrat remplit.

Il tendit la feuille à Orax, il lui demanda de signer en bas.

— On est fichu ! reprit à son tour Perceban.

Orax se saisit d'une plume dans un encrier qui se trouvait non loin et signa face aux deux autres mages liquéfiés.

— Bien ! Affaire conclue ! déclara Ernest qui repris le contrat, l'enroula et le cacha au fond de son sac.

— Ce fut un plaisir de faire affaire avec toi ! s'exclama Orax qui tendit sa main à son camarade.

— Bien de même Orax ! répondit Ernest qui saisit la main du vieux mage.

Ça y est ! La poignée de main avait eu lieu, dorénavant le contrat était figé et nul ne sait comment on pourrait rembourser une telle somme ! Plus les intérêts ! Les trois mages sortirent du foyer, Orax tout fier avec une énorme bourse en main, suivis de Perceban et Thomast totalement désespérés.

— Maintenant direction à la taverne ! déclara hardiment Orax.

Les Fables Du Mana : Le cœur de la magieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant