Chapitre 25 : Escale en Escadoras

10 0 0
                                    

Le Silure forban était sans nul doute la grange à marin la plus chaotique et tintamarresque de tout le royaume, peut être même la seule à vrai dire tant ce trou était un festival de débauche unique en son genre. Aussitôt le seuil de la porte franchit que l'on était confronté à des nués fanfaronnes de violons aux chants décousues, aux valses effrénées et désarticulé des pitres abîmées par la mousse et l'odeur salée de l'écume de mer qu'avaient embarquées avec elles les nombreuses bottes de marins qui valsaient sur le planché grinçant et écaillé. 

On ne pouvait à peine voir au-delà de deux pieds devant nous tant le lieux étaient boursoufflés de chaises, de tonneaux, de fûts, de coffres et de tables presque empilées les uns sur les autres, au-dessus desquelles pendouillaient des lanternes à la lueur incertaines, créant une teinte braisillante qui vadrouillait dans la pénombre. Ici jasaient les plus grands adeptes de beuveries nocturnes aux esprits divertis par les sonnâtes improvisés et par les fabulations que leurs créaient les effluves de bières. Ivrogne belliqueux, pirates boiteux, corsaires désabusés, vieux loups de mer esseulés, tous c'étaient réunis ici pour festoyer ensemble et n'hésitaient pas à se chamailler à grand coup de tabouret sur le naseau si le ton venait à monter ! 

Ici et là pendaient des filets de lourds cordages ficelés de charpentes en charpentes, naviguant dans toute la barraque. Se dressaient au-dessus des têtes, des mats, aussi hauts que le toit, sur lesquelles étaient encore accrochés quelques restes de voiles salies par la souillure et la morve. Les étages étaient infestés de joyeux lurons agglutinés à un tel point qu'ils en venaient à déborder sur les rampes et balcons en charpentes qui surplombaient le rez-de-chaussée. On se demandait même quand les barreaux allaient céder et qu'un fatras exceptionnel allez retentir sous une avalanche de moqueries. On se croyait dans la calle d'un navire en perdition sur une mer d'ébriété.

Orax, Perceban et Thomast, encapuchonnés comme s'ils se prenaient pour de vils gredins, se frayèrent un chemin sur cette allée de débauche. Sur leur passage, ils purent admirer les nombreuses peintures sèches et granuleuses qui bariolaient les planches bâtardes des murs, représentants les vestiges infinis qu'offrait la mer. On voyait ici un démon géant des profondeurs dévorant un navire tout entier, où là une horde de sirènes ensorceler des marins égarés sur les rives, où ici l'antre d'un trésor millénaire qui faisait jaillir en son cœur des myriades de rayons solaires dorés.

A force de voguer de tables en tables, ils finirent par s'échouer sous la magnifique et titanesque ancre géante, à la ferraille érodée et émoussée, maintenu par d'infinis entrelacements de cordages, qui couronnait le centre de la taverne. Non loin de là, une voix, reconnaissable parmi des milliers, chantait les louanges de sa personne. 

— C'est là que, pris au piège d'un coté par les récifs de sombre-écume et de l'autre par la gueule immense et constellée de crocs de la bête des abysses, je n'avais d'autres choix que de courir à une mort certaine ! 

Bien qu'ils eurent une parfaite idée quant à l'identité de ce grandiloquent narrateur à la voix grave et pleine d'entrain qui subjuguait les passions, ils ne purent en avoir la confirmation tant leur champ de vision était obstrué par les innombrables silhouettes aux gabarits chaotiques qui se dressaient autour de la table. Les mages se faufilèrent entre ces larges épaules qui barricadaient l'allée, non sans recevoir une ou plusieurs complaintes et parvinrent à atteindre le devant de la scène où avait lieu la symphonie exubérante de l'intéressé. 

Sur les lattes en bois de la table suintante de liqueur pâle, valsait un Leeroy Rakhan à la mine luisante et aux gestes laborieux. Le corps et la voix ensorcelés par l'ivresse, il se trimbalait comme une loque disloquée au milieu des acclamations de ses confrères fortement divertis par ce spectacle. 

Les Fables Du Mana : Le cœur de la magieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant