Chapitre 7 : Un mystérieux voyageur

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Le serveur déboula d'un preste pas en direction de la table avec, posé en équilibre sur son large avant-bras, un plateau garni de pintes à la robe rutilante. Le ver-sec brussignol, c'était la favorite de Perceban et de Thomast, une bière sucrée et amère, pétillante et somptueuse. Tandis qu'Orax se cantonnait au vin brûlé de Lardeur, une sorte de liqueur épaisse aux relents de viande fumée. Après toute une journée à se trémousser à droite et à gauche et une excursion en forêt qu'ils leur avaient valu d'avoir leurs affaires toutes trempées, c'était un bien bon réconfort de pouvoir s'affaler dans un confortable siège de l'auberge du terrier et de déguster les meilleurs mets de la région.

Le petit lieu clos baignait dans une lumière orangée et virevoltait dans l'air l'odeur de la chair bien cuite et du bois usé. Les serveurs ruisselaient entre les rangées de tables qui semblaient infinies tant la densité de mines festives venait à s'accroître de minute en minute. L'atmosphère y était fort chaleureuse, les rires en éclat se faisaient entendre à tout recoin de la taverne et se mêlaient aux fredonnements parfois hasardeux des lurons qui se sentaient le cœur chantant. On entendait d'ailleurs le bard jouer de sa flûte à l'autre bout de la pièce, faisant danser d'un pas gauche les ahuris aux estomacs remplis de liqueur. Ces moult voyageurs, aux bottes encrassées, qui avaient parcouru sentiers et sentiers venaient finalement se réfugier ici afin de conter de vives voix leurs exploits dans les régions les plus égarés du continent. 

L'un des plus attaqués par la mousse vint à scander le récit de ses péripéties en se hissant au sommet de sa table, pataugeant dans les flaques de bières tièdes et agrémentant son discours d'une pointe d'exagération romancé.

— Me voilà face à un grand dragon aux écailles de bronze qui se rua sur moi ! Le feu prêt à se déverser hors de son immense gueule pleine de dent ! pouvait-on l'entendre clamer.

— Il n'y a plus de dragon dans la région ! toisa l'une des gaillardes.

— Bon d'accord, d'accord, c'était peut-être juste un gros serpent, mais il avait quand même les crocs ! Regardez où il m'a mordu ! se rattrapa-t-il en brandissant la marque de deux petits crocs sur son avant-bras dont on se moqua allègrement.

— Bien sûr que si, il y en a encore des dragons dans la région, rouspéta en murmurant Orax à ses deux acolytes qui ne l'écoutaient qu'à peine, j'en ai vu un pas plus tard qu'il y a un an. À la grotte de Vilvepierre.

Les pintes se faisant engloutir bien plus vite que le soleil ne se couchait, l'arrivée de la forte fièvre vint bien rapidement à se faire entendre dans la soirée. Bientôt, les mages devinrent de plus en plus éméchés et, ne nous mentons pas, les breuvages de la région robustes et corsés y étaient pour quelque chose ! Après avoir écoulé un certain nombre de chopines emplies de ver-sec brussingol, ils sentirent leurs pensées se mettre à vagabonder dans une vapeur ondoyante et leurs regards s'affaissèrent tandis que leurs estomacs se racornirent. Tantôt, les chopines se remplissaient de cette écume ambrée tantôt le vocabulaire et l'élégance de leurs discours s'amoindrissaient. Certains, dont l'équilibre flanchaient trop sous le poids du houblon, finissaient le fessier à terre avec cette expression confuse dessinée sur leur visage. La cohue nocturne, armée de ses hydromels et charmants amuse-bouche, envahit petit à petit les esprits et les panses et il ne fallut pas longtemps avant que les trois mages ne se retrouvent ensevelit sous cette vague enivrante.

Thomast, pourtant de nature timide, se surprit à tenter une épreuve de force contre Gerlk, le costaud barbu de la table d'à côté, encouragé par un Perceban enflammé qui scandait le nom de son ami pour lui porter tout son soutien. "Allez, tu peux le faire ! Je sais que tu en as dans les bras Thomast ! Mets-le au tapis !", beuglait comme un sanglier Perceban. À la fin du féroce bras de fer, Gerlk décida que l'affrontement n'avait que trop duré et Thomast se vit propulsé de l'autre côté de la table par un rabattement aussi soudain que foudroyant de son opposant. Les moqueries ne mirent pas longtemps à fuser, mais le mage fut tout de même récupérer par la bande de joyeux lurons qui l'aidèrent à se remettre sur ses pattes avant de le brandir au sommet de leurs épaules. Car oui, bien qu'on ne manquât pas de se toiser férocement dans une symphonie de jurons, les joutes verbales, aussi peu poétique et raffiné soient-elles, étaient toujours délivrés dans l'amicalité. Les ferveurs festives s'emparèrent de la nuit et la barricade de bois l'abritant, ne put contenir davantage toute la cacophonie qui s'en dégageait. Bientôt, l'orchestre infernal et tapageur se déversa allègrement dans tout le village et on ne put fermer l'œil.

Les Fables Du Mana : Le cœur de la magieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant