Chapitre 44 : A travers ses yeux

5 0 0
                                    

Le vautour noir se retrouva bien au sommet des cieux, mais pas de la manière dont il l'avait envisagé. On l'avait enfermé dans la pièce la plus sombre et la plus sécrète de la tour ancienne, enchaîné à un siège duquel il ne pouvait s'extirper. On ne lui laissa même pas le luxe de gindre car ses mots empoisonnés se retrouvaient étouffés derrière un bâillon épais et crasseux. Un permanent regard hostile scrutait l'intérieur de ses orbites, et il restait dans cette exacte même position sans cesse, transperçant quiconque entrait dans la pièce de ses yeux assassins. Mais ce n'était que de l'intimidation, et c'était bien la seule chose qui lui restait. Le prince déchu se retrouva déchu une seconde fois. On ne le prit plus autant au sérieux qu'avant. On avait jadis de la crainte à son égard, il suscitait peur et effroi. Maintenant qu'il était ligoté comme un vulgaire vermisseau, on se prenait à avoir de la peine pour lui... Le vampire sanguinaire qu'il était auparavant n'était plus qu'une petite chauve souris qui couinait pour qu'on la libère... Il n'était plus qu'un résidu de lui-même...

Jaillis soudain des confins de la tour, Orax et Elerina, transperçant l'entrée de la pièce à vive allure, le visage fermé. Le vieux mage sauta sur l'elfe noir, le libérant de son bâillon, mais l'emprisonnant derrière la sévérité de son regard. "Il est temps !", dit-il en accrochant ses mots dans la culpabilité du prisonnier.

— Vous ne m'impressionnez guère vieux fou, ricana le prince de la nuit, rien de ce que vous me ferez ne pourra m'atteindre.

— C'est ce que l'on verra ! retentit Orax acceptant le défi. Elerina, prépare toi, cela risque d'être un peu violent, j'ai besoin que tu assures mes arrières !

L'elfe qui se tenait à ses côtés acquiesça et se prépara à intervenir.

— Toute cette mise en scène est d'un pathétique ! grinça de la voix Rénathaël. Vous comptez me torturer ? Eh bien, si vous désirez m'infliger la pire des douleurs, continuez donc de m'abreuver de tous vos idiots sermons, c'est bien cela qui m'accable le plus !

— Vous torturez ? Nous ne nous réduisons pas à la vermine que vous êtes, prince de la nuit ! Aucun de vos mots ne pourrait être plus limpide que la parole de vos souvenirs.

L'elfe noir se mit à jubiler, incapable de retenir ses rires fous qui grincèrent dans toute la pièce.

— Vous ne pensez tout de même pas pouvoir rentrer dans mon esprit aussi facilement ? Allons, Orax, vous m'avez démontré bien plus de raisonnabilité jusqu'alors, pourquoi faire preuve d'un si risible comportement à présent. Je suis déçu.

Le vieil homme ne réagit pas à ces provocations, il scruta avec encore plus de mépris l'elfe noir avant de soulever ses mains autour de sa tête. Une ardente chaleur de défi brûlait entre leurs le regard des deux adversaires, chacun désireux de savoir lequel allait l'emporter sur l'autre dans ce jeu de l'esprit. Orax écarta les doigts, la braise de ses yeux s'intensifia et après un flottement dans l'air semblant durer une éternité, des mots jaillir de ses lèvres. "Reveleris Spiritisante !".

C'est alors que du bout des doigts du mage apparurent, brillants d'un éclat glaçant, des faisceaux de lins éthérées aussi fins que des toiles d'araignée se tissant autour des tempes du prince et pénétrant dans ses veines. Il cria de douleur tant la vive piqûre vénéneuse lui brûla le cerveau. Il se déchaîna tel un démon tandis qu'on tentait de lui arracher ses souvenirs, se secouant à s'en désarticuler les membres. Son cri possédé était à ce point perçant qu'il fendit la brise tordue des environs. Les veines sur son front grossirent à en devenir d'épaisses larves jaunâtres qui tuméfièrent son visage. Ses crocs se resserrent à s'en fissurer l'émaille et ses paupières se sanglèrent l'une contre l'autre. Il suffoquait comme si on lui tordait les boyaux, crachotant des salves de salives étranglées par-dessus sa mâchoire. Pourtant, malgré la douloureuse épreuve qu'il subissait, il tenait bon, et à force de contracter ses muscles à se les faire déchirer, il reprit du terrain sur le vieux mage qui ne parvint pas à atteindre ne serait-ce qu'un soupçon de sa moelle.

Dans la difformité aberrante que la grimace de l'elfe prenait, on put voir se dessiner un sourire narquois qui parcourut les sillons tordus de ses lèvres. Cette expression malfaisante, digne de la démence la plus profonde d'un monstre, déconcerta Orax qui déstabilisé. Dans une hargne finale, l'elfe noire poussa un cri encore plus fou et déséquilibré que tous les autres et sa colère fit jaillir une onde de choc qui propulsa le vieux mage ! Elerina tenta bien de le rattraper, mais elle fut emportée dans l'élan et tout deux voltigèrent à l'autre bout de la pièce.

Essoufflé, accablé, exténué, le souffle exigu et irrégulier du prince exultait de sa carcasse creuse. Mais il s'était libéré de l'emprise de son adversaire, et dans ses souffles épouvantables on cru entendre se mêler les échos d'un rire malicieux.

— Pauvre imbécile ! déclara l'elfe noir. Tu ne peux rien faire contre moi !

Les Fables Du Mana : Le cœur de la magieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant