Chapitre 27 : Le conquérant de tous les mondes

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Perdu dans les confins d'une mer sombre et tyrannique, emprise à l'orage qui déchirait les cieux, Rénathaël restait terré muet dans l'obscure silencieuse de son appartement. Son regard balayant à une sempiternelle reprise les contours de sa résidence, le cœur écrasé dans une tourmente haletante. L'extrémité de sa griffe crochue grattait sans cesse le rebord de son siège, au point d'en écorcher le bois, et il sentait s'abattre sur son esprit, chaque nouveau cliquetis de l'horloge comme s'il s'agissait d'un coup de maillet insondable. À aucun moment, il ne daigna lever les yeux dans sa direction, par crainte d'éreinter son esprit s'il croisait le temps qui lui filait entre les griffes.

Le tumulte nuageux qui grondait dans l'horizon n'annonçait qu'un mauvais augure. On pouvait observer s'agglutiner des bourrasques obscures qui grossissaient à vue d'œil et s'étendre à perte de vue, dévorant bientôt l'entièreté des vallées célestes. Rodwig demeurait sur le pont du navire, les yeux projetés au loin, admirant la noirceur de l'orage étreindre la nuit. Il patientait en profitant de la fraîcheur du vent qui balayait sa cape dans les sifflements muets qui sévissaient au-dessus de la marée. Les mouvements de l'océan berçaient son regard et ses bruits ensorcelaient son oreille. Puis, surgirent hors de la brise sombre, deux immenses ailes noires qui se déployèrent au-dessus des vagues. Un croassement sépulcral retentit dans le silence de la mer et l'oiseau vint atterrir sur le bras de son maître. Il lui caressa lentement la nuque, comme pour le remercier de son long et périlleux voyage dans les décombres des ténèbres qui agressaient le ciel. La bête s'inclina, ravie, et lui délivra l'objet qu'elle gardait entre ses serres.

— Merci Sybel, dit Rodwig qui échangea avec la créature un regard complice et affectueux.

L'animal laissa s'échapper un léger croassement amical puis repartit vadrouiller dans les cieux. Le sombre émissaire avait apporté à son maître un mystérieux objet empaqueté sous de nombreux tissus. Il savait exactement de quoi il s'agissait... Alors il partit au plus vite prévenir son seigneur.

À son arrivé dans son appartement, Rénathaël releva sa tête au sommet de sa nuque, comme un air de défiance apparu sous la pointe de son menton qui s'était dressée face à son sujet. Ce dernier enjamba le plancher cireux et grumeleux duquel dégoulinait une exaltation caverneuse. Il dévala ainsi, sous les yeux des nombreux sujets elfes noirs muets qui se tenaient aux abords de la pièce, aussi rigides et droits que leurs lances. Rénathaël se délivra de l'emprise de son siège, et jaillit comme un chien esseulé qui se précipita sur l'objet de son appétence singulière. Ils se firent face et échangèrent tous deux un regard d'appréhension, noyé dans un vin de morosité.

Le prince de la nuit saisit entre ses mains, avec une très fine méticulosité, le mystérieux présent et le déroba de sa robe brune, dévoilant ainsi son contenu. C'était une dague, tout de noir forgée, dont le fer reflétait une lueur de sang et dont la lame était ornée de nombreux symboles mystiques et indéchiffrables. Le prince de la nuit eut une grimace de répugnance à la vue de cet objet. Une bouffée d'air vénéneux lui saisit la gorge et ses crocs se crispèrent. Son regard balbutia, plein d'aigreur et sa main se mit à trembler. Il se ressaisit aussitôt, tentant de dissimuler à ses sujets ce comportement, eux qui l'épiaient comme un rapace efflanqué. Il prit une grande inspiration, vidant son regard de tout le miasme répugnant qui l'avait envahi, puis s'adressa à l'un de ses sujets :

— Toi là ! Approche.

Le concerné, resta figé un instant, puis on sentit dans ses gestes une sorte d'anxiété fraîchement découverte lorsqu'il comprit que c'était bien à lui que s'adresser l'appel. Il se détacha du reste du rang, et approcha d'un pas hésitant avant d'arriver à la hauteur de son maître. Rénathaël, redoutant le pire, se résolut enfin à agir. Il poignarda avec férocité le valet, enfonçant profondément la dague dans son abdomen, sous le souffle rompu de celui-ci et l'indifférence de tous les autres. La lame toujours plantée dans son corps, il fit quelques pas en arrière, se tordant de douleur au point de se distordre lui-même dans une posture torturée. Sans même produire le moindre bruit, tant ses poumons semblaient se déchirer, il se comprima à moitié et vacilla un instant, l'air perdu et échoué. La triste silhouette du valet se mit alors à se tordre dans un sens, puis dans l'autre, se courbant, revenant parfois à sa forme originelle avant de repartir dans une douloureuse valse désarticulée. On pouvait entendre ses os se briser, se fragmenter et son visage se déformer. Tous ceux qui entouraient le malheureux, tentèrent de rester le plus impassible possible bien qu'ils leur arrivaient parfois de ressentir un funeste frisson qui éreintait leurs nuques. Rénathaël, quant à lui, observait dans un silence obsédant, la carcasse démente de son sujet se détériorer de plus en plus.

Puis, après un énième de cycle de souffrance grinçant, la marionnette reprit une posture normale, mais son visage resta profondément démuni de vie et son regard s'emplit d'une encre noire sinueuse. Le valet demeura inerte, puis, un souffle de vie morne vint libérer sa gorge. Il expira un grand coup avant de se lancer dans une symphonie dissonante de respirations aliénées. Après que ses poumons ne retrouvent une cadence normale, il se remit en place sa mâchoire qui s'était disloquée sous la force nécrotique qui avait jailli d'outre-tombe. Une forme de bruit granuleux, comme un grognement de chien, s'empara alors de sa bouche et ensuite... Il releva brusquement la tête en direction du prince de la nuit, ses yeux noirs écarquillés.

Les Fables Du Mana : Le cœur de la magieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant