Chapitre 43 : Le champ de tournesol

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Ce jour-là, où le soleil se leva avec la compagnie, un convoi les attendait. Quelques lunes auparavant, Lauryan avait envoyé un corbeau, annonçant au royaume de Cryte son retour triomphal sur les terres d'Escalon. Emballé par la nouvelle, l'un des sujets de feu le roi Arlhan Vasteryan, fit venir des chevaux ainsi qu'une escorte pour le prince retrouvé. Mais il ne comptait pas y aller seul. Accompagnés de ses amis, ils se précipitèrent hors des murs de la grande cité et rejoignirent le défilé de chevaux qui les attendaient dans la combe au sud d'Idrasul. Ici, ils grimpèrent sur leur monture et partirent avec le vent. Lorsque l'aurore du matin palpita entre les lointains nuages, ils virent au loin la reine des cités s'assombrir derrière les montagnes, et les hautes steppes du pays du milieu montrèrent le bout de leurs fougères dorées.

De nombreux, nombreux, nombreux jours s'écoulèrent, avant que la lueur de l'horizon ne leur révèle les contrées estivales du royaume de Cryte. Une myriade de tuiles rouges envahirent le dessus des contrées pleines de verdures et les hautes arches de pierre aux teintes chamois surmontèrent les bâtisses. Le royaume de Cryte était aussi beau que chaleureux, cloîtré dans les vallées verdoyantes des terres du sud. Ils y furent accueillis tels des rois ! Acclamés et félicités, on leur offrit le gîte et le couvert ainsi que toute l'hospitalité dont seuls les Crytois en avaient le secret ! Passer bien des heures dans ce charmant pays et voilà les os et les muscles bien revigorés ! Il était facile de se faire enchanter par la ferveur de la bonne viande et de la bonne liqueur, mais aussi des effluves voluptueuses de l'herbe à pipe de très bonne mains. Là où Idrasul était un bastion de hauts murs sans fin à la pierre brute et lisse, aux tourelles fourmillant par milliers et aux rues étroites et embusquées, Cryte possédait des édifices courts, des chemins vastes et amples et des colonies de structures en bois dominaient les environs.

Si l'on penchait son regard par-dessus les maçonneries de la ville, on admirait se rependre le touffu pelage des infinies forêts de Chante-Automne. On restait ébahit devant une telle frondaison, mêlant les remous verts clairs et jaunes brasillant qui batifolaient dans le feuillage de cette vaste étendue sylvestre. Parfois, des lueurs crépusculaires en émanaient et lorsque l'on égarait son oreille, on pouvait entendre des chants éthérés résonner, tel un lointain souvenir inatteignable. Les mystères qui entouraient les confins de ces terres, entrelacés dans les racines et les écorces de ces hauts arbres, envoûtaient les rêves les plus fous des voyageurs et si ces derniers se risquaient à répondre aux appels de la forêt alors jamais ils ne revenaient. Car la magnificence de ces lieux n'avait d'égal que les dangers qu'ils recelaient.

Lors de leur séjour, ils furent reçus dans le grand manoir des Vasteryan, un édifice plus petit et plus modeste que la tour des âges d'Idrasul, certes, mais bien plus chaleureux ! Enroulé dans un velours bleu et doré, couleurs propres à cette famille, l'intérieur était entièrement boisé d'un crin châtain. Les charpentes étaient gorgées d'une bonne odeur de viande fumée et les cheminés respiraient d'ample exaltations cendrées. De longues et fines fenêtres rectangulaires laissaient se déverser les éclats du jour dans toutes les pièces et lorsque les nuits tombaient, les milliers de candélabres s'illuminaient pour rependre une aurore chaude et réconfortante.  

Bien sûr, on ne laissa pas ce couard de Rénathaël profiter des bienfaits reposant du royaume, et on l'enferma donc au sommet de la tour ancienne. Un lieu si haut et si froid que nul ne pouvait s'en dérober. Les cris de la vermine se faisaient étrangler dans la fureur des cieux et les nuages épais qui encerclaient parfois le toit nous faisait oublier sa présence. Et ce fut pour le mieux, car l'agonie du prince de la nuit ne cessa de geindre lorsqu'on lui retira l'œil maudit qui gisait à sa main ! Mais ils chassèrent l'existence de ce vil individu de leur esprit pour le reste des jours à venir, et se contentèrent d'explorer la ville afin d'en connaître ses délices les plus insoupçonnés. Lauryan n'était pas peu fier de leur faire visiter les lieux et gratifier ses compagnons d'histoires et de légendes qui entouraient tel ou tel site.

Mais s'ils étaient venus jusqu'ici, ce n'était pas pour goûter aux merveilleuses écumes ivoire de la bière du royaume, ni pour explorer les monuments qui constellaient les pourtours des villages, ni même pour sillonner les recoins à la recherche de viles créatures auxquelles se confronter afin de passer le temps. Non, s'ils étaient venus, c'était pour un événement spécial. Un événement qui n'attendait que le retour du prince Vasteryan pour se dérouler. Lorsque la journée commença à se retirer plus loin dans les cieux, le prince ainsi que les autres membres de la compagnie furent conviés à rejoindre la haute vallée jaunie par le déclin du jour, dans laquelle s'étaient rassemblés bons nombres des gens du royaume.

S'étendait à perte de vue, à travers le vaste horizon dont l'orée baignait dans un brasillant coucher de soleil, enveloppant les quelques nuages dans une robe nimbée de pêche, les innombrables têtes couronnées de ces majestueuses fleurs. Un sépulcre séculaire qui rayonnait dans la danse solaire sous le ciel céruléen de Cryte. Virevoltaient dans l'air pur et chaud, un appel sauvage et une paisible mélancolie qui soulevaient le ventre des émotions les plus pures.

On se mit alors à traverser, un à un, la lisière verdoyante et à rejoindre le bassin de calme, se baignant dans cette océan de soleil qui nous caressait les épaules et chatoyait nos museaux. On suivait la marche du lion qui couronnait la tête de la file et on se faufilait à travers l'infini herbage.

La senteur du Zéphyr et la douceur de ses souffles, nous libéraient de la lourdeur de nos pas, du poids de nos pleurs et alors on laissa s'écouler notre chagrin dans les vagues de chaleur qui se déversaient sur le champ. On admirait virevolter la cime des plantes, secouées par la brise du crépuscule et qui murmurait en nous un sentiment harmonieux de douceur et d'amertume.

Alors qu'on traversait cet infini domaine par le chemin jonché d'or qui menait au centre, on put admirer sur notre passage son somptueux pelage se dresser et les majestueuses crinières florales de ces êtres se relever, comme pour accueillir parmi elles la venue du roi endormit.

Arrivé au centre de la plaine rutilante, un cercle dénudé s'offrit à nous et on emporta alors le cercueil en son cœur où reposait déjà un ample monument de marbre qui attendait l'arrivé de son nouveau veilleur. Au sommet de ce dédale immaculé, se dressait une stèle ornée de lierre et de fleurs sur laquelle était inscrit le nom des rois de jadis qui sommeillaient en ce lieu.

Le cœur lourd, la poitrine serrée, la gorge sèche, on versait nos derniers adieux tandis que le lion de Cryte rejoignit ses ancêtres dans le repos de marbre.

Se hérissa alors une brise chaude et sauvage et les dernières braises solaires qui revêtaient l'horizon, rugirent une dernière fois alors qu'elles s'éteignaient peu à peu dans la combe céleste, laissant entrevoir des myriades de constellations argentées se dessiner dans la robe du soir.

Lorsque les lueurs rosées disparurent dans la nuit, un vent plus tiède se leva, berçant les pleurs et emportant les larmes dans sa balade tourbillonnante.

Bientôt, le voile nocturne ensevelit l'entièreté de la dorure du champ et disparut dans son obscurité, les silhouettes qui constellaient la plénitude de la vallée. Les derniers adieux s'endormirent alors dans la nuit qui s'éveillait.

Les Fables Du Mana : Le cœur de la magieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant