Chapitre 10 : La reine des cités

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À l'aube naissant, la chaleur solaire s'éleva peu à peu au-dessus des nuages, leur octroyant une douce teinte vermillon, et s'écoula alors dans tout Greyson un voile incandescent qui enveloppait la verdure des plaines et les toitures écaillées des maisons dans un drap luisant. La douce lumière matinale ruisselait entre les tuiles rouges de l'auberge du terrier puis les premiers rayons de soleil vinrent s'immiscer à travers les fenêtres des chambres, projetant des halos ardents dans lesquelles dansaient de petites particules brunes. Bien vite, la lumière débordait dans toutes les pièces et reluisait de sa plus belle robe estivale. La candeur rayonnante du matin s'amusait à titiller les paupières des dormeurs et chatoyait leur narines. On reniflait un coup, on marmonnait des dialectes incompréhensibles, on tournoyait sur soi d'un côté puis de l'autre, on s'emmitouflait dans les draps. Cela aurait été une description appropriée dans le cadre d'une chaleureuse bonne nuit de sommeil passé dans un lit douillé dans une auberge réconfortante. Mais ce ne fut guère le cas ici. Nos quelques aventuriers, se réveillèrent dans un amer pétrin poussiéreux, allongés dans les débris cabossés de charpentes sur lesquels gisaient leurs membres contusionnés. Quelques bizarreries de cassures venaient embourber leurs articulations et étreindre leurs muscles. On se réveilla dans la grimacerie et la complainte d'inconfort, les jambes tordues, enlisées dans la sciure de bois et les courbatures.

 — Ma tête ! rugit d'un air renfrogné Perceban qui fut lui-même étonné de ne pas avoir prononcé cette phrase à la suite de la longue nuit de beuverie.

— Je ne sens plus mes jambes ! Je ne sens plus mes jambes ! gronda de panique Thomast qui surgit de son sommeil en trombe et dont tous les traits du visage s'éparpillèrent en vrac sur sa face.

— Eh oh ! Doucement ! s'écria le capitaine Rakhan qui était dissimulé sous une nappe de poussière et qui se releva brutalement des jambes de Thomast sur lesquelles il avait visiblement passé la nuit.

— Nom de nom ! Quelle guigne... s'écria Orax qui s'essuya les rides dans lesquelles s'étaient engouffré tout un faisceau de poussières jaunes.

Le capitaine Rakhan se délia de l'emprise des débris et se remit sur pied avec une élégance bien trop discutable. Il tituba presque en équilibre sur les quelques charpentes bancales qui gisaient ici, avant de s'effondrer dans le lit de sciure, provoquant la levée d'un nuage de cendre brune. À en croire ce piètre numéro de funambule, ses jambes semblaient encore être bien trop engourdies. Alors il se retourna sur le dos avec la grâce d'une torture, et comata ainsi dans cette position, le museau levé en l'air et le regard éparpillé dans le bleu du ciel visible depuis le profond alvéole creusé à travers tous les étages de l'auberge.

— Eh beh mes amis, retentit la voix enraillée du capitaine, nous n'avons décidément pas chômé !

Non loin de là, se fit entendre des profonds gémissements mutilés. Le visage empêtré entre ses genoux, le fessier engouffré dans les tuiles brisées et les charpentes fracassées, le pauvre Vermond était figé dans une tétanie catastrophée, le regard larmoyant sur les ruines écrabouillées de sa précieuse auberge.

— Je suis fichu ! Je suis fichu ! répétait-il inlassablement les mains écrasées contre son visage. Pourquoi Mörk ai-je accepté de faire entrer de tels malandrins dans ma demeure ?!

Orax, se sentit profondément attristé par la situation (bien que pour une fois cela n'était pas de sa faute, mais il fallut le reconnaître, il portait la poisse.). Il prit appui sur ses deux vieux bras dépités afin de se hisser hors du cortège de débris et se dirigea d'un pas timide et à une allure de larve auprès du tavernier dévasté.

— Mon bon Vermond, prononça d'un ton accablé le vieux mage, je suis sincèrement navré pour cette catastrophe. Je vais faire en sorte que tout soit réparé.

— Et comment comptes-tu t'y prendre encore ?! scanda avec nervosité les soupirs de Vermond. Je suis ruiné !

— Hm, il n'y que la toiture qui est trouée, et aussi quelques tables écroulés et aussi peut être un peu le...

Mais avant qu'il n'ait pus achever ses propos, il remarqua que Perceban et Thomast lui lançaient des appels, le martelant de signes de tête désapprobateurs afin qu'il ne tente pas d'adoucir davantage une situation bien trop impossible à consoler.

— Bon, je dois bien avoué que, peut-être que oui, il y aura beaucoup de travaux à faire, se rattrapa Orax.

— Que vais-je faire ?! s'écriait le tavernier, les larmes s'écoulant sur les cendres de son foyer.

— Nous avons fait un prêt plutôt conséquent auprès de la guilde des marchands. Je peux t'en attribuer une grosse partie et en garder assez pour que nous puissions arriver tranquillement à Idrasul. Bien sûr, ça ne sera pas suffisant pour tout réparer mais je ne t'ai pas menti quant au fait que je suis sur un gros coup. Je pourrais très certainement te rembourser les dommages causés, et aussi ceux d'avant...

— Et on fait quoi de celui-là ?! s'écria le capitaine Rakhan qui ficelait ce bandit de Gerlk dans de lourd cordage, lui qui ne s'était toujours pas réveillé de son long songe.

— Livrez donc cette crapule à la milice ! gronda d'un ton sévère Orax. Ce vaurien est la cause de tout ce désastre !

Bien qu'Orax était ce vieux bougre radin, il n'en était pas moins un homme de parole et pourvu d'une certaine forme de reconnaissance sincère. Il laissa, sans sourciller, une somme très conséquente du prêt à Vermond. Bien que ce dernier demeurait abattu, il semblait trouver un peu de réconfort dans cette bourse bien bedonnante, ce qui rassura quelque peu le vieux mage qui sentit sa conscience s'alléger. Et il l'avait promis, il reviendrait pour réparer les dégâts causés.

Les Fables Du Mana : Le cœur de la magieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant